FIRE ▬ haine teruko ♥

« oh, rien de spécial ne s'était vraiment produit, tu sais. juste un petit frisson, un de ses habituels qui te rend étrangement nerveuse. tu sais, cette minuscule douleur qui évoluait petit à petit dans le creux de mon ventre. tu sais, cette petite chose qui me ronge de l'intérieur. mais ne t'inquiète pas, je vais bien. »

En y réfléchissant, la journée avait pourtant bien commencé. C'est vrai quoi, pour une fois il s'était couché tôt. Bon, d'accord, il n'y avait que de la merde à la télévision, mais c'est pas une raison. Il avait préféré laisser son ordinateur à plus tard, pour éviter de ressembler à l'un de ses morts-vivants que l'on peut apercevoir à la télévision. Un luxe. Il évitera ainsi d'agir comme un con dès le matin, et de se prendre maintes et maintes, murs et autres choses qui passent au travers de son chemin. C'est quelque chose qui ne s'explique pas vraiment. Faut dire qu'il en a passait des mois dans cette chambre. De bonnes choses, des mauvaises. Mais pourtant, il aurait pu retenir le chemin, comme tout le monde aurait pu le faire. La journée avait pourtant bien commencé, pourtant. Il ne s'était pas cassé la tête pendant CE cours du matin, qu'il abhorre froidement et de mauvaise humeur. Il avait réussi à ne pas s'enfoncer dans un de ses nombreux casses-têtes chinois, qui empêche à Shion de marcher correctement. Il grinça des dents en songeant à ses nombreux comme quoi il avait une gueule de poupée. « ... Je. ... Et t'a vu ta gueule, toi ? » C'est vrai que Shion appréciait beaucoup ses élèves. Quand, il avait le calme, qu'il était pas obliger de se répéter. La journée avait pourtant bien commencé, pourtant. Il avait quitté sa salle de cours pour aller bouffer quelque chose de potable, sans se précipiter. Au point de croire que Tsukiyo-sensei était malade. Et il avait quitté sa salle, la tête dans les nuages. Sur son chemin, un attroupement devant deux personnes qui s'affrontaient, et puis plus loin un élève en train de flirter avec Haine. ... enfin, d'après ce qu'il voyait. Shion ne broncha pas et continua de marcher, la faim au ventre se faisant ressentir. La journée avait pourtant bien commencé, pourtant. Quelque chose le gêna au fond, une ombre, quelque chose qui lui pesait dans le bide. A croire qu'on avait tenté de l'empoisonner. Et il en avait fait des choses, pour que des personnes arrivent à de telles extrémités. Humiliation verbale, remarque déplaçante, mauvaises actions, et j'en passe. Mais Shion était quelqu'un de gentil au fond. La preuve, il parle kaira. « Wesh mec, tu m'as ptdr t'à'l'heure. J'tais expldr ! » Enfin, ça le fait seulement quand il est incapable - enfin flemme ici - de parler correctement. Et cette ombre, cette gène, ce poids qui l'empêchait d'agir normalement grandi au fil des minutes. Son front se plissa, quand il s'en rendit compte. Il pesta contre cette chose, cette merde, qui le rongeait de l'intérieur. Il se laissa dévisager avant de sortir un pitoyable « Quoi ? » Silence assourdissant, avant qu'une minuscule voix le brise soudainement. « Sensei... Vous-Vous êtes normal. »

Cette putain de journée aurait pu bien finir. Si seulement il s'était pressé pour aller bouffer, et en passant agir comme un con. Et puis, être de mauvaise humeur aussi. Se prendre des murs, glissait sous la douche, recevoir un bon gros texto bisounours qui le ferait gerber. Il aurait aimé en fait. Il en aurait fait bavé, certes, mais il en aurait souris, il en aurait rit. Enfin de l'intérieur, bien-sûr. Au moins, il aurait pu être sûre qu'il n'aurait pas ce truc abominable qui lui perçait le poumon. Un élan de haine le fixa brusquement sur place. Il devait régler ce truc, il devait régler ce truc. Haine, il allait lui demander. Pour voir ce qu'il avait. Cette chose inconnue qui lui bloquait la respiration. Elle devait surement avoir une réponse à tout ça. Elle s'y connaissait plus que lui en matière de maladie. Et cette chose ne la rendait pas seulement malade, elle l’obnubilait, l'empoisonnait... Le faisait détester. La chose se passa très vite. Il la trouva, il l'embarqua brusquement sans entendre ses mots. Il la fit entrer sans se faire prier dans la pièce où il était responsable, et ferma préalablement la porte pour qu'on ne puisse pas les déranger.

« Tu m'expliques ce que tu as fais ? »

Main sur la grande table, Shion fixait Haine, déterminée. Celle-ci avait l'air surprise, puis perplexe. Aucune froideur ne se dégageait dans ses yeux, de toute façon s'il voulait, il y arrivait pas. Pourtant, on sentait clairement sa colère par l'électricité statique qui commençait à se former puis à stagner autour d'eux. Puis, il se sentit con. Teruko ne devait pas savoir, pensa-t-il de manière presque ironique. De sa voix normale en gros.

« C'qui ce gros ? Dès que je l'ai vu, il m'a donné la nausée. Parle. »

Spoiler:

Age

« Vous savez, sensei, je suis plutôt mature pour mon âge !
_ Ah, vraiment ? Je n’en doute pas Seiki-kun. »

Comment en était-elle arrivée là, déjà ? Se faire draguer par un élève, au su et au vu de tous ? Était-ce elle qui était tombée bien bas ou les étudiants qui n’avaient plus peur de rien ? Quand même, elle était prof. Une prof cool, gentille, sexy, mais une prof quand même. Et sortir avec ses élèves ne faisait pas vraiment partie de ses fonctions. Mais pour qui la prenait-il ? Enfin, il n’était pas méchant, elle pouvait bien continuer à discuter un peu avec lui.

C’était une bonne journée. Haine s’était levée de bonne humeur, avait pris son petit déjeuner de bonne humeur, s’était lavée de bonne humeur et était sortie dans le couloir de bonne humeur. Elle avait enfilée une jupe légère qui lui tombait sur les genoux, surmontée d’un pull beige au col en V. Ses bottes en cuir faisaient un bruit assourdissant en résonnant contre les murs de pierre mais elle s’en fichait, marchant d’un air gai en chantonnant doucement. Il était encore tôt et les élèves qu’elle croisait avait tous des têtes mornes et fatiguées de ceux qui n’ont pas assez dormi et veulent tout sauf aller en cours. Elle leur souriait de toutes ses dents et sûrement devaient-ils la prendre pour une imbécile heureuse. Ce qui était bien entendu le cas. Sa nuit avait été parfaite, bercée par les rêves les plus bisounours qui soient. D’ailleurs, il fallait qu’elle envoie un sms à Shion et à Mélodie pour leur raconter. Mais plus tard, là elle marchait, elle ferait ça à la pause déjeuner - sauf si bien sûr elle déjeunait avec eux. Quoique, ils avaient bizarrement l’air de ne pas s’entendre, donc elle ne mangerait qu’avec l’un des deux. Elle se demandait pourquoi elle avait cette drôle d’impression à leur sujet et puis laissa tomber, jugeant le sujet sans intérêt. Après tout, ils faisaient ce qu’ils voulaient, c’étaient des grandes personnes non ? Tant qu’elle pouvait parler aux deux, elle s’estimait satisfaite. Bref. Son premier cours s’était passé sans anicroches : des premières années, gentils et naïfs qui ne savaient pas encore sur quelle tarée ils étaient tombés et se contentaient d’acquiescer à la moindre de ses envies farfelues. Elle adorait les premières années ♥. Après, avec le temps, ces garnements apprenaient à se méfier d’elle et à se montrer plus rétifs à ses idées lumineuses et sensationnelles. Certes, elle avait un point de vue assez unique sur sa matière et comment l’enseigner, mais ça marchait, non ? Alors de quoi ils se plaignaient ces petits cancres ! Non, elle pensait ça, mais elle les adorait ses élèves chéris. Et si elle le torturait, c’était uniquement pour leur bien. Uniquement.

Haine enchaina donc sur son cours suivant, avec une classe plus âgée cette fois-ci. Et des garçons plus entreprenants. Le cours se déroula dans le calme relatif d’un cours de CDP avec Teruko-sensei. En fait, ce fut plutôt bruyant. Mais il n’y eut pas de blessé, donc bon. Un des garçons de la classe en particulier n’arrêtait pas de la fixer, lui envoyant regard langoureux sur regard langoureux. Wtf ? Il était même pas majeur le bougre et même s’il était courant que les garçons préfèrent les femmes mûres, les femmes plus âgées préféraient rarement les… bébés aux hommes de leur âge. Il aurait été super sex’, pourquoi pas, à la limite, mais il restait dans la moyenne. Elle lui sourit donc gentiment, se disant que ça allait lui passer.

Et la voilà maintenant, coincée entre sa salle de classe ce Seiki-kun insistant. Ça allait lui passer ? Mon cul ouais, il l’empêchait presque de sortir. Bien sûr, elle pourrait le repousser carrément et lui briser tout ses rêves et espoirs mais… ce n’était pas son genre. Et, avouons-le, elle aimait bien ça. Flirter, se faire courtiser - à la djeuns, certes, mais ça restait du courtisage quand même - se sentir belle et désirée… oui, bon, voilà. Elle le laissa donc faire, se fixant une heure limite pour le repousser et aller manger, elle avait faim après tout. Mais la sérénade dura moins longtemps que prévu, une forme grande masculine surplombant soudainement le jeune garçon trop occupé à observer son décolleté. Shion attrapa Haine par le bras et l’entraina derrière lui sans demander son reste.

« Que…? »

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, elle se retrouva enfermée entre les quatre murs blancs de la cuisine avec le jeune homme pour toute compagnie. La clé tourna dans la serrure - privilège du manager du club - et ses derniers restes de liberté avec. La jeune femme leva son regard rougeoyant sur Shion. Eh beh ? Qu’est-ce qu’il lui voulait ? L’emmener ainsi dans une pièce close, en tête à tête… aurait-il une idée derrière la tête ? Mais elle n’eut pas le temps qu’esquisser un début de sourire qu’il lui demandait abruptement :

« Tu m'expliques ce que tu as fais ?
_ Pardon ? J’ai fait quoi ? »

Totale incompréhension. Elle pencha une fois la tête de côté, puis de l’autre. Non, vraiment, elle ne comprenait pas. Et lui qui la fixait avec ses grands yeux noirs coléreux… Avait-elle fait quelque chose de mal lors de leur dernière rencontre ? L’électricité statique commençait à lui picoter les joues en même temps que la colère de son compagnon augmentait. Mais quoi bordel ?!

« C'qui ce gros ? Dès que je l'ai vu, il m'a donné la nausée. Parle.

Incompréhension, à nouveau. Et puis un début d’irritation.

_ Je te redemande pardon ?

Sa voix s’était faite un peu moins chaleureuse qu’à l’ordinaire. Il l’avait brusquement enlevée, séquestrée, questionnée, électrocutée et maintenant ça ? Mais ce n’était pas dans sa nature de sauter trop brusquement les étapes, aussi demanda-t-elle d’un ton inquiet :

_ Qu’est-ce qu’il t’arrive, Shion ? Tu n’as pas l’air bien.

Une pause. Il ne répondait pas.

_ C’était juste un élève, on discutait après les cours. Et tu n’as pas à me sauter dessus de la sorte pour me demander ce que je fais ! »

Elle avait beau rester calme pour l’instant, le ton autoritaire avec lequel il lui avait ordonner de parler lui était rester en travers de la gorge. Personne ne donnait d’ordre à Haine Teruko, personne. Elle laissait passer pour cette fois mais il n’avait intérêt à recommencer.

Il ne s’était pas passé grand-chose. Une ambiance un peu trop électrique, des regards noirs, normal dirait-on. Shion ne regretta pas d’avoir scellé la porte de la cuisine car la chose allait surement durer un bon bout de temps. Et allait surement faire quelques victimes… Un petit rire intérieur commença brusquement à résonner en lui, comme si ce fait en question lui plaisait. Il en déglutissait presque. Montée d’adrénaline. Les conflits avec Haine, il les connaissait. Il en avait même l’habitude maintenant. Il ne fallut qu’une chose, une minuscule petit chose pour qu’enchaine les quiproquos, afin que le feu s’allume de nouveau. Les conflits avec sa « petite Haine », ce n’était pas n’importe quoi. C’était quelque chose d’horriblement fou, de dangereux, pour une si petite chose, malheureusement. Ils leur arrivent souvent de détruire quelques choses au passage. Les mots s’enchaînent, les pouvoirs qui se déclenchent au passage. Pas quelques coups non voulu, vu par de simple débutant. Haine et Shion était professeur de CDP, ne l’oublions pas. Même si Haine ne possédait pas de don offensif, il et elle s’en sortait très bien. Elle faisait très très mal. Mais, ce n’était pas le moment d’en parler. Il le savait, maintenant. Depuis la dernière réponse virulente d’Haine, il le savait. Dès qu’il commencerait à parler, alors ça serait le bordel. Et personne ne pourra les arrêter à part eux même. Il ne savait pas du tout ce qu’il allait faire précisément, mais sentant les petites charges électriques qui parcouraient progressivement ses doigts, ses ongles plantés sur la table, cela ne signifiait rien de bon. Cependant, il posa sa main gauche à plat, sur sa nuque un peu trop chaude. Le regard perçant fier chez sa compagne, un léger sourire qui ne signifiait rien de bon se dessiner sur ses lèvres. Il avait l’air d’un vrai salaud comme ça. A l’instant, il avait envie de regarder sa gueule sur son visage, et se faire peur. Lui qui avait l’habitude de voir un visage un peu trop fermé au monde, cela l’aurait surement surpris. Une voix en fond de lui-même, lui indique d’éviter de toucher au gaz. Il ne voulait pas passer pour un pyromane, ça non. Une autre pensée pour sa chemise qui allait surement ne pas résister aux assauts futurs.

« Je suis bien, merci de t’en soucier. … Et change pas de sujet. »

Finalement, Shion ne devait pas être très bien dans sa tête. Ou était-donc passé ce Tsukiyo qui ne se souciait uniquement de lui-même, et qui ne se faisait qu’hausser les épaules. Mais, avant d’être une simple compagne de coucherie, Haine était avant tout son amie, la meilleure qu’il a en tout cas. Et sans vraiment le sentir, il se souciait un peu de son cas. Et « le gros » en question, Shion n’avait pas réussi à le diriger. En fait, il le sentait pas, mais pas du tout. Lui qui était de si bonne humeur aujourd’hui, Shion était surement maudit, ou quelque chose comme ça. Non, il n’était maudit qu’avec cet autre élève qui est également hermaphrodite. De toute façon, il n’oserait jamais lui avouer, il aurait trop peur qu’Haine se foute de sa gueule. Ça ne devrait jamais arriver. Il grimaça encore. Cette chose qui l’empêchait de respirer, l’énervait. Il n’était pas asthmatique à ce qu’il savait. Il se connaissait bien pourtant. Il grinça des dents.

« Je. … J’sais pas, je le sens pas ce gars. »

Il avait craché ses paroles, comme s’il avait ingurgité accidentellement un produit de vaisselle. Il n’aimait pas, mais pas du tout le ton de la Teruko. Au lieu de lui sauter au dessus, il chercha rapidement une victime. Un œuf. Qui atterrit au centre du visage de sa collègue.

« Bordel, il m’arrive quoi là ? »

Cette phrase lui était destinée. Pas pour le lancer d’œuf non. Pour ce qu’il ressentait à l’intérieur de lui-même. Dieu que cela lui faisait mal. Il sentit sa main révulsé quelque chose, cependant il ne vit pas où exactement, étant donner qu’il avait les yeux fermés. Un fracas de casseroles ou quelque chose comme ça, qui sait.

Age

« Qu’est-ce qu’il t’arrive, Shion ? Tu n’as pas l’air bien.
_ Je suis bien, merci de t’en soucier. … Et change pas de sujet. »

Décidément, Haine n’aimait vraiment pas son ton. Il était dur, froid. On aurait dit de l’acier, comme s’il était prêt à se battre à tout instant. Se battre, avec elle. Mais pourquoi ? Qu’avait-elle fait pour réveiller cet aspect de sa personnalité ? Non, la question n’était pas là. Après tout, ce n’était pas elle qui était en tort. C’était Shion. Qui avait sauté sur l’autre ? Qui avait enfermé l’autre ? Certainement pas elle, elle qui était tranquillement en train de discuter dans le couloir avec un élève ! Et puis elle n’avait pas changé de sujet, elle était juste inquiète. Elle trouvait que son ami avait un drôle d’air ; malade peut être ? En fait, elle l’avait rarement vu dans cet état là. Quand il n’y avait plus de pommes ou plus de clopes, la plupart du temps. Mais aux dernières nouvelles, ni l’une ni l’autre ne manquait et, même ça s’était avéré être le cas, elle n’en aurait été la cause en rien ! Bon, en somme, Haine était légèrement en train de s’énerver.

« C’était juste un élève, on discutait après les cours. Et tu n’as pas à me sauter dessus de la sorte pour me demander ce que je fais !

N’importe qui aurait saisi les reproches, même pas voilés, qui s’étaient glissés dans la phrase. Et une personne un poil avisée aurait lu entre les lignes la phrase suivante, écrite en lettres capitales rouges qui clignotent « JE FAIS CE QUE JE VEUX. ». Oui, le point a de l’importance dans le cas présent. Mais voilà le drame, Shion n’était pas n’importe qui. Il était lui, et grand bien lui en fasse, sauf qu’il était apparemment incapable de capter ce message subliminal d’une simplicité enfantine. Mettez ça sur le compte de son apparente colère - contre quoi au juste ? -, de sa mauvaise étoile ou juste de son instinct masculin qui l’empêche de comprendre les subtilités de la vie, toujours est-il qu’il rata ce message qui lui aurait suggéré de ne pas surenchérir et lui aurait évité bien des problèmes.

_ Je. … J’sais pas, je le sens pas ce gars ! »

Il ne parla pas. Il cracha. Comme si les mots lui brulaient la langue, lui donner envie de vomir ou autre chose encore. Haine fronça les sourcils - ce qui n’est jamais bon chez quelqu’un comme elle. Ok, c’était touchant, il s’inquiétait pour elle, trop choupinou tralala tsoin tsoin. Mais ce n’était pas, mais alors pas du tout ses affaires. Qu’il balaye devant sa porte avant d’aller critiquer celle du voisin ! Après tout, ne pourrait-elle pas elle aussi l’enfermer dans une salle - le gymnase de préférence, puisqu’elle en avait les clefs - et lui demander « ce qu’il faisait » parce qu’il s’était attardé trop longtemps à discuter avec une élève ?! … Non, stop. Ça n’allait pas là, elle était en train de faire comme lui, entrer dans son jeu. Et puis, de toute façon, qu’est-ce qu’elle en avait à faire qu’il se fasse draguer par des minettes de 15 ans, hein ? Rien ! Absolument rien ! Il pouvait bien s’envoyer en l’air avec tout le personnel féminin de l’établissement qu’elle en aurait toujours rien, mais vraiment rien, à faire ! Elle était loin de tout ça, cette notion de possessivité, de jalousie, ce genre de choses n’étaient pas pour elle, non non non. Haine Teruko était l’individu le plus libre de cet établissement, qu’on le crie bien sur tous les toits ! Et puis, pourquoi serait-elle jalouse, hum ? Je veux dire, outre le fait que « Han, elle est plus jolie que moi c’est ça ?! Goujat ! », honnêtement, pourquoi ? Quand on est jaloux c’est que, certes, on tient à cette personne. Mais aussi que l’on considère qu’elle nous appartient. Et Shion était très, très loin d’être à elle - encore heureux ! C’était juste son meilleur ami, elle devrait même le pousser dans les bras de toutes ces donzelles à la limite ! Même si elle n’en avait absolument pas envie. Bah, il y a bien des gens possessif en amitié, non ?

Haine avait pensé trop longtemps. Mais le résultat en valait la peine. Elle releva la tête, prête à tout le pardonner, lui dire que ce n’était pas grave et qu’il était sûrement fatigué. Qu’elle n’allait pas lui crier dessus et lui en vouloir, rien de tout ça. Oui, elle était vraiment prête à lui dire tout ça. Enfin, avant qu’elle ne se reçoive un œuf en pleine figure. Une foule de gros mots plus horribles les uns que les autres lui montèrent à la gorge et y formèrent une boule, un nœud, qui se mua petit à petit en une colère noire. À bas tout ses beaux principes ! Il voulait la guerre ? Et bien il l’aurait ! On ne cherche pas Haine Teruko sans en assumer les conséquences !

« Bordel, il m’arrive quoi là ?
_ Je sais pas ce qu’il t’arrive, dit-elle une voix calme - trop calme. Mais je sais ce qu’il va t’arriver ! »

Elle attrapa la première chose qui lui passa sous la main - un saladier plein de farine à l’évidence - et le lui balança à la figure avec rage. Le récipient en métal produisit un beau « dooong » en rencontrant le crâne du brun mais elle ne s’attarda pas sur ce détail. Déjà, d’autres aliments volaient. Gousse d’ail, carottes, tomates, un œuf, quelques cuillers en bois.

« Qu’est-ce qu’il te prend, hein ?! hurla la folle furieuse qui était en train d’offrir un véritable baptême de l’air à tout les objets de la salle. Je ne t’ai rien fait, ok ? Alors va passer ta mauvaise humeur sur quelqu’un d’autre que moi ! »

En temps normal elle aurait ajouté « Ou explique moi, et on essayera de trouver une solution ensemble ». Mais elle n’était pas en temps normal, elle en était même très loin. Pour la première fois, elle fut contente que la pièce soit fermée pour que personne ne tente de l’arrêter.

Shion ne devait vraiment pas se sentir bien. Quand il avait entendu le bruit de l’œuf se briser, il avait brusquement ouvert les yeux. Un mot venait de le surprendre, un bruit de clapotis, qui résonnait si fort qu’il en donnait la nausée. S’il n’était pas dans cette situation, il en aurait surement… éclaté de rire. C’était probable, sauf que Shion est improbable, ce qui ne fait que légèrement compliquer les choses. Nauséeux, semeur de discorde, démon de midi, et j’en passe. Mais surtout, il ne pourrait pas l’être, pas avec Haine. Son front se plissa légèrement en quête d’un léger doute, aussi présent que le dépôt d’une plume sur sa boîte crânienne. Il devait surement avoir rêvé, mais juste avant l’acte, il avait perçu le visage de la Teruko étrangement… sereine. Shion n’agissait pas en mec jaloux avec sa meilleure amie. Non, il l’a protégé c’est tout. Même si parfois, il ne savait plus vraiment ce qu’il disait, ne se rendant même plus compte de l’importance qu’à ces mots sur une personne, tellement concentré. Tellement borné, tellement con.

« C’est pas ça. J’avais l’impression de voir une prostituée devant une salle de classe. »

La coque de l’œuf s’était brisée sur celle-ci, rendant sa collègue prête à exploser. Elle avait la figure d’un volcan en pleine fusion, pour tout dire. Ça commencerait mal puis ça se terminerait bien, comme toujours. La réactivité du professeur était très étonnante. C’est ainsi qu’un récipient remplie de farine fonça vers sa direction et le choc du métal le fit tomber en arrière, tandis que d’autres aliments se précipitèrent vers lui, l’assommant littéralement. Il fallait qu’il annonce que la réunion du club de cuisine le lendemain serait surement annulée d’ailleurs. Haine avait accepté la guerre, et bien, elle l’aura ! D’un sursaut bref et efficace, il prit la première chose qu’il avait dans les mains, un rouleau de pâtisserie, et de le lancer vers la figure de son ennemie, et enchaina avec un poulet pas cuit, une banane, une pomme – il lui aurait fait un adieu presque déchirant – deux récipients en silicone pas franchement efficace, malgré toute la saleté qui agrippait sa peau et ses vêtements. D’ailleurs, il n’était pas le seul, Haine aussi était dans un état déplorable mais toujours déchaînée. Il attrapa des mains un autre aliment, à la forme ronde et à la texture froide. Il déglutit. Il venait de se rappeler. De la forêt noire. Qu’il avait gardé. Caché dans la cuisine. Durant sa période de réflexion, il se prit une orange en pleine poire.

« STOOOOOP. … Euh, un instant. »

C’était ridicule, certes, mais de toute façon, il était contre Haine. Elle le connaissait suffisamment, et tant pis si elle n’acceptait pas cette pause-réflexion. Cela ne dura que deux minutes. Deux minutes où on aurait cru que Shion était sur le point de décider de la fin du monde. C’est ainsi qu’il offra un grand baptême de l’air au gâteau. Il grinça des dents quand il vit le gâteau s’étalait de tout son long sur le visage et épaules de la Teruko. A ce moment-là, il cessa de lancer des projectiles, trop perturbé. Oui, il avait l’impression de voir une forêt-noire géante devant lui. Une sorte de rêve qui arrive souvent, un rêve éveillant maintenant…

« Monsieur le gâteau ? »

Et puis, il vit la gueule crillarde de la Teruko, entourée de crème chantilly. Il contourna le plan de travail et arrivait sur ses pas, Shion, sale, ne fit qu’entourer le cou d’Haine avec ses bras, et plongea son nez sur la crème encore abondante de l’épaule gauche de l’hermaphrodite. Au fond, il trouvait ça un peu bizarre, c’était comme si il avait étalé du nutella sur son corps, ce genre de fantasme de fou. Maintenant, il ne souhaiterait pas que Haine le bouge pour encore lui faire des reproches. Peut-être qu’elle devrait lui en faire, mais ce n’est pas une raison. Parce que là, il avait l’impression d’être sur un nuage.

Age

Shion tomba à la reverse, assommé par le flot d’aliments divers qui lui arrivaient en pleine figure ; mine de rien, Haine visait plutôt bien. Elle continua de tirer malgré le fait qu’il soit déjà au sol et il fallut l’entrée brusque d’un rouleau à pâtisserie dans son champ de vision pour la forcer à arrêter. Lâchant aussitôt la tomate qu’elle avait en main, l’enseignante attrapa l’outil de cuisine au vol, l’empêchant ainsi de rencontrer directement sa boite crânienne. Elle aurait pu se dire « Mais quel taré ce Shion, j’aurais pu me faire super mal ! » mais la seule chose qui lui passa par la tête fut un « Bien joué ma grande ! » comme si le fait de rattraper un rouleau de pâtisserie de justesse était une chose tout ce qu’il y a de plus courante et qu’elle s’entrainait dans ce but chaque jour que Dieu fait. Enfin bref, passons.

Encore toute heureuse de sa performance, c’est au dernier moment qu’elle vu le poulet encore tout rose et tout mou et c’est donc grâce à ses prodigieux réflexes qu’elle… ne l’évita pas et se le prit dans l’épaule. Ranimant la flamme guerrière dans son regard, elle empoigna le rouleau et s’en servit comme batte pour propulser le prochain projectile qui fonçait droit dans sa direction dans un autre direction tout à fait opposée. La banane n’était pas ce qu’il y a de plus pratique pour viser, le fruit partit directement s’encastrer dans l’un des placards où il fit un bruit d’enfer, dérangeant poêles et casseroles. C’étaient les femmes qui allaient encore faire la gueule ; partout où Haine et Shion passaient, elles avaient du travail supplémentaire. Un jour, elles finiraient par signer une pétition pour que le directeur les vire, c’était certain. En attendant, le jeune homme continuait à balancer toutes sortes de choses vers sa chère et tendre amie qui les lui renvoyait du mieux qu’elle pouvait.

En fait, elle avait totalement oublié sa colère. Aussi étrange que ça puisse paraitre, Haine n’était pas le genre de personne qui reste énervée bien longtemps. Soit elle était très en colère, elle cassait les murs et elle n’adressait plus jamais la parole à la personne. Soit elle était en colère de façon intense, certes, mais très brève également. Le temps de pousser un gueulante, échanger quelques coups, et c’était terminé ; elle se mettait alors à rire à gorge déployer et ça tournait en bataille de polochons. D’ailleurs, elle était actuellement en train de rigoler. Le fait que Shion l’avait traitée de la pire des salopes ? Oublié, comme toutes ses remarques désobligeantes - le jour où il les penserait vraiment, là elle se fâcherait pour de bon, mais ce jour n’était pas encore venu. Pour l’instant, elle profitait d’une partie de base ball improvisée dans les cuisines du pensionnat avec son collègue et meilleur ami, aussi crades et couverts de bouffe l’un que l’autre. What else ?

« STOOOOOP. … Euh, un instant. »

Et soudain, le suspense. Haine fixa avec attention la forêt noire entre les mains de Shion, attendant avec un mélange d’impatience et de stress la décision qu’il n’allait pas tarder à prendre. Raffermissant sa prise autour du rouleau, un sourire plaqué aux lèvres, elle observa sans bouger le moindre de ses gestes. Elle savait que ce choix allait être décisif, l’un des plus durs de la vie de l’enseignant ; ce gâteau était bien plus qu’un gâteau, c’était THE gâteau. Celui qu’il ne sacrifierait pour rien au monde, un gâchis incommensurable pour lui et le reste de l’espèce humaine. Les secondes et bientôt et les minutes s’enclenchèrent jusqu’à ce que, finalement, le brun ferme les yeux. Il avait fait son choix. Le gâteau vola dans les cieux, tel un phœnix chocolaté prenant son envol et, dans un arc majestueux, commença une longue et interminable descente vers le visage de Haine. N’écoutant que son instinct, cette dernière frappa de toutes ses forces dans la pâtisserie, propulsant un peu de sa crème partout dans la salle, mais sans pour autant dévier le gros de la sucrerie de sa trajectoire ; le reste du gâteau lui arriva en pleine figure, s’étalant au passage dans ses cheveux et sur son épaule.

« Aaaaaah ! Pouaaaaah ! J’en ai partout ! s’exclama-t-elle en lâchant le rouleau à pâtisserie pour essayer de dégager ses yeux. »

Elle avait du chocolat jusque dans le nez, ce qui était tout sauf agréable. Totalement aveuglée par son interaction avec la forêt noire et obnubilée par l’idée de s’en débarrassée, les mouvements de Shion passèrent totalement inaperçus aux yeux, au nez et aux sens en général de la jeune femme. Ce n’est que quand une voix masculine et connue l’appela « Monsieur Gateau » avant de fourrer son nez dans son épaule qu’elle compris qu’il s’était rapproché d’elle.

« Eh ! Mais…! Qu’est-ce que tu fais, Shion, dégage !

Essayez de vous débattre tout en tentant de respirer autre chose que de la crème chantilly, et vous comprendrez de la situation dans laquelle se trouvait Haine était tout sauf évidente. L’autre l’avait solidement enlacée et s’était apparemment mis en tête de la nettoyer à coup de langue. Ce qu’elle l’aurait laissé faire, dans d’autres circonstances - quoique, non, parce qu’elle savait très bien comment ça allait finir et qu’elle s’était promis de ne pas récidiver - mais qu’elle n’était pas vraiment disposée à le laisser continuer actuellement.

_ Hey ! Si tu crois qu’en faisant ça tu vas te faire pardonner de m’avoir balancé un gâteau à la gueule, tu te mets le doigt dans l’œil mon coco !

Je vous ai déjà dit qu’elle avait totalement oublié la partie où il l’insultait, donc il n’avait pas besoin de se faire pardonner pour ça. Bref. Ni une ni deux, Haine attrapa la tête de Shion de ses mains pleines de chocolat et, le forçant à l’immobilité, se fit un malin plaisir d’essuyer son visage dégoutant sur le sien tout propre. Il eut beau se débattre, elle continua à le tenir en riant et lui étala sur la figure la majeure partie de la crème qu’elle avait sur la sienne. À force de bouger dans tous les sens ils finirent par tomber au sol où, en position de force, la jeune femme se permit de le lâcher afin d’attraper la chantilly sur son épaule et la lui faire avaler, par les trous de nez s’il le fallait. Quand enfin elle fut satisfaite du résultat - bien qu’il lui en restât encore plein partout, sur le nez et dans le cou en majorité - elle lui déclara en souriant de toutes ses dents :

« Et c’est qui Monsieur Gâteau maintenant ? ♥ »

La chute. Ce n'était pas rien, tout de même. Mais pour les habitués, cela ne serait pas franchement gênant. Vous seriez juste un peu dégoutés que cette énième bastonnade ne se terminerait pas à l'infirmerie. C'est vrai qu'en les comparant tous, le sang y était rare, voir inexistant. Cela n'aurait pas été possible si les deux adultes ne se considéraient pas comme meilleurs amis. Mais malgré ce statut attribué, il arrivait souvent qu'il est les mêmes problèmes que ceux des personnes qui ne sont tout simplement qu'amis. A croire que ça les amusent, de se tester comme ça. De voir qui pleurerait en premier ou qui hurlerait au monde entier sa rancœur. A croire que ça les amusent, de se torturer comme de vulgaires masochistes, de voir qui se plierait en premier. Tout est si réaliste que l'on ne pourrait plus appeler cela « fiction ». Tu as déjà observé leur relation quasi-fusionnelle, et tu voudrais les arrêter avant qu'il ne dérape ou que toute la magie se casse. Et puis finalement, tu t'arrêtes de trembler en les voyant rire, honteux de t'être tromper sur leur compte. Alors, bizarrement, tu commences également à rire de ton idiotie, de ton incompréhension. Tu te rends compte qu'une simple dispute ne suffira pas à les briser. Et là, tu penses que leur lien est protégé par du béton armé ou un quelconque métaux incassables, et alors là, tu les envierais.

« ... Je ne vais pas te tuer, parce que c'est ce gâteau. »

La violente froideur procurée par la chantilly lui avait donné la migraine, mais il trouva ça étrangement agréable. Trop concentrer sur son action, il n'entendait presque plus les paroles de la Teruko, c'est alors que le nuage commença brusquement à bouger. Le con, lui, garda les yeux fermés. Le con n'était cependant pas aussi con, au moins, il ne reçut pas de traces de chocolat ou de chantilly en plein oeil. Mais il était définitivement con puisqu'il ne parvint pas à bouger, et se laissa salir sans pouvoir y échapper. Jusqu'à ce qu'ils tombèrent, avec Haine au dessus de Shion, le sourire vainqueur aux lèvres. Cette dernière avait lâché son étreinte pour lui verser de la chantilly en pleine gueule. Le professeur de CDP s'était brusquement redressé pour pouvoir échapper au reste de chantilly, et faire tomber ce qui trainait sur son visage. Shion avait définitivement besoin d'un bain. Après s'être débarrasser d'une partie de la chantilly avec ses mains - et salissant encore plus ses mains -, il ne fit que se pourlécher les lèvres pour que le goût sucré disparaisse. Le regard avide d'Haine lui fit peur pendant un court instant. Au lieu de ressauter sur sa collègue, il ne fit que rire. Rire de leur comportement enfantin, de leur stupidité. Mais, il réfuta pleinement l'idée de jalousie ; il n'était que inquiet malgré le fait qu'Haine ne soit plus adolescente, sujette de crises perpétuelles. C'était plus fort que lui, il ne réfléchissait jamais sur les conséquences ; toutes ses actions avaient une bonne raison, point. Il ne fit que secouer ses mains pour se débarrasser en partie des excédents de chantilly, sans songer un seul instant à aller utiliser le robinet. Il semblait être parfaitement bien par terre.

« Cherche pas, je ne regrette aucunes de mes paroles. »

Shion l'avait lancé d'un coup, tout en constatant - comme un assureur - ce qui restait de propre dans sa tenue, retrouvant son air neutre qui le caractérise tant. Non, ça serait la goutte d'eau qui ferait déborder le vase, un Tsukiyo qui s'excuse. Même si Haine était un cas spécial, vraiment spécial. Il secoua la tête pour faire tomber quelques saletés ou poussières de ses cheveux, comme ça il avait l'air pleinement gamin. « Shota » aurait approuvé les adeptes, mais passons. Il semblerait que plus rien de passionnant n'allait se dérouler maintenant, les deux étaient presque lassés. Toujours à genoux, Shion commença à s'appliquer avec le bout de ses doigts un peu propre, de retirer la chantilly qui restait sur les lèvres et le menton de la brune. Il en profita d'ailleurs pour la gouter, et ainsi éviter de la gâcher entièrement. La scène en était presque plaisante, séduisante, mais Shion, trop occupé à constater du goût de la chantilly, ne faisait pas tellement attention à la tête d'Haine, l'ayant déjà détailler dans diverses situations. Lançant une parole dont il ne mesure même pas le degré.

« Mhh... Tu dois être bonne vu que la chantilly est encore plus bonne que d'habitude. »

Amen.

Age

Shion se redressa brusquement, envoyant valser une quantité importante de la chantilly qui lui couvrait le visage. Repoussée par cet élan, Haine se retrouva assise sur ses pieds, riant de sa face de Pierrot. Enfin, de Pierrot en train de s’étouffé. Utilisant ses mains comme elle l’avait fait un peu plus tôt pour se débarbouiller sommairement, le jeune homme ne résista pas bien longtemps à la tentation et se mis à manger ce qui lui servait de masque facial. Même réduit en bouillie, une forêt noire restait une forêt noir et il eut été naïf d’imaginer que Shion ne se jetterait pas dessus pour autant. L’enseignante le regarda faire avec un mélange d’amusement et de gourmandise tandis léchait les babines. Hm, elle aussi en voulait.

Il leva soudain les yeux vers elle et ils se fixèrent un instant. Ils étaient aussi couvert de nourriture l’un que l’autre, sales à ne plus pouvoir marcher dans les couloirs sans les tapisser de crème chocolatée ou de coulis de tomate. Et alors, un son qu’elle n’avait pas entendu depuis un moment carillonna à ses oreilles : le rire de Shion. Un rire joyeux et un peu moqueur, mais spontané comme il y en a peu. La surprise passée, la jeune femme se joignit à lui avec délice, riant de leur mésaventure plus que de leurs têtes. Ils s’étaient foutus sur la gueule à cause d’une simple discussion de couloir et avaient terminés couverts de pâtisserie. La plupart des gens seraient perplexes face à ce genre d’amitié, mais eux deux y étaient habitués. Haine bouillonnait de vie et Shion aussi, sous sa surface calme, était perpétuellement au bord de l’irruption ; une relation normale ne convenait pas à deux caractères aussi forts. Ils s’ennuieraient vite sinon et s’éloigneraient l’un de l’autre. Il leur fallait de l’action, des crises et des péripéties, des cascades à couper le souffle et des réconciliations poignantes. La routine, le quotidien étaient impossibles entre eux, chaque lendemain était une surprise. Chaque jour ils étaient au bord de la rupture et ce sont ces retrouvailles qui consolidaient, jour après jour, leur lien.

« Cherche pas, je ne regrette aucunes de mes paroles, lui dit Shion en s’essuyant les mains sur les meubles près d’eux, apparemment peu enclin à se lever.
_ Oui, oui, je sais, lui répondit-elle avec le sourire. »

Ainsi, le visage baissé sur ses vêtements bon pour la poubelle, il avait presque l’air de bouder et Haine se sentit attendrie par cette indifférence aussi implacable qu’elle était fausse. Elle tendit les bras et lui caressa la tête, lui lissant les cheveux en arrière en utilisant la chantilly comme gel. Le résultat des plus comiques la fit rire, et elle continua à s’amuser avec sa coiffure tandis que lui-même tentait de se rendre plus ou moins présentable - même si c’était peine perdue. Il finit par secouer la tête dans tout les sens, comme un chien qui s’ébroue, détruisant la forme artistique que l’enseignante avait donnait à sa chevelure noire. Ne se décourageant pas pour autant - et sans prendre en compte l’avis de son cobaye - Haine repartit à l’assaut de sa tignasse avec pour objectif de lui faire la même coiffure que le chanteur se faisant appeler -M- et dont elle s’était toujours demandé comme il la faisait tenir.

De son côté, Shion se mis en tête de ne pas gâcher une seule miette de son dessert préféré et commença donc à récupérer les morceaux restés sur son amie. Du bout des doigts il attrapa la crème son menton et son épaule, faisant sourire la jeune femme à cause des chatouilles occasionnées :

« Si on continue comme ça on va finir par ressembler à deux chimpanzés qui se mangent les puces, lui fit-elle la remarque d’une voix rieuse. »

Lui ne répondit pas et continua son nettoyage méticuleux. Ses joues, ses lèvres y passèrent et elle baisse les yeux juste à temps pour constater qu’il avalait bouchée sur bouchée. Comment faisait-il pour ne pas grossir ? En fait, elle s’en fichait.

« Mhh... Tu dois être bonne vu que la chantilly est encore plus bonne que d'habitude.

Son cœur rata un battement mais elle se força au calme. C’était Shion, son meilleur ami et elle tenait à lui comme à personne. Elle ne voulait pas recommencer, elle avait trop peur de le perdre. Comme elle avait perdu tout les autres. Alors ses mains reprirent leur activité de sculpture sur capillaire qu’elles avaient inconsciemment interrompue et Haine sourit, le regard rivé sur son travail.

_ Bien sûr que je suis bonne ! Je suis ce qu’il se fait de plus exquis, la crème de la crème ! »

Ils retombèrent dans le silence, l’un mangeant et l’autre coiffant. La magie du moment avait été rompue, du moins du point de vue de la rousse. Elle était assise sur lui et ce contact qui jusqu’alors ne lui procurait qu’un confort relatif par rapport à la dureté du sol la brûlait désormais. Elle avait envie de se changer en homme. De changer de sexe, de devenir lui, comme si le changement d’appareil reproductif allait également changer la sensation que lui procurait le toucher de sa peau sur la sienne. Doux rêve. Haine restait Haine, qu’importe l’enveloppe, et le cœur douloureux qui battait dans sa poitrine était dépourvu de tout sexe, lui. Ses bras finirent par retomber mollement le long de ses flancs et elle observa d’un œil torve Shion continuer sa collecte un peu partout sur son corps. Elle se lécha pensivement les lèvres, encore un peu sucrée, là où il s’était appliqué à faire disparaitre toute trace de chantilly.

« Dis moi, Shion.

Pause. Elle n’était pas sûre de ce qu’elle voulait dire.

_ Tu es mon meilleur ami, n’est-ce pas ? »

Comme si elle voulait se convaincre elle-même.

Shion continua son manège pendant plusieurs minutes, poussant un léger couinement désapprobateur quand il vit Haine faire de même, mais avec sa langue. Pas question qu’elle ne touche à son butin de guerre. En les observant se faire la guerre, se réconcilier étrangement, on pourrait facilement les concilier avec des adolescents après leur seizième année. Perturbant, énervants, totalement insolite, et j’en passe. Parce que malgré l’âge, les deux adultes avaient encore des gueules d’enfants, et ne s’en plaignaient même pas d’ailleurs. Le garçonnet n’avait même pas fixé sa partenaire quand il avait lancé ses derniers mots, d’ailleurs, ce n’était que maintenant qu’il commençait à y songer. Avec beaucoup de difficultés, certes. Le sucre était censé apporté plus d’énergie dans le corps, dont le cerveau, mais chez Shion, cela provoquait l’effet inverse. Il était donc dans les vapes, un léger air satisfait qui lui flottait au visage, façon de parler, il fallait voir ses yeux brillés d’une étrange manière. Bizarrement, il se sentit vulgaire. Mais il passa l’effet, un peu beaucoup trop habitué à tout cela. C’est surtout la réponse plutôt légère de la Teruko qui l’avait rassuré. Ces mots – avouait-il – étaient un peu tiré par les cheveux, et très très évocateur après étude.

« La crème de la crème qui m’empêche constamment de dormir surtout. »

Il l’avait lancé comme ça, pour éviter les blancs principalement, même s’il trouvait cela extrêmement reposant. Mais quand il mangeait, il se sentait soudainement épier quand personne ne parler. Il ne leva pas les yeux quand il sentit Haine en train de lui tripoter les cheveux, avec ses mains pleine de chantilly – ne l’oublions pas. -, les lissant sans doute. Ses cheveux étaient déjà plats, alors si elle continuait ce manège, il n’imaginait pas le résultat final. Il grogna quelques mots, avec sa chantilly dans la bouche, et grogna encore plus quand sa meilleure amie commençait à bouger pour faire une énième coiffure à ses cheveux tout ébouriffés. Un air narquois et rieur apparu quand il vit le résultat, mais il la pardonnait, elle n’était pas coiffeuse. Mine de rien, l’air soucieux de sa compagne, perdue dans ses pensées, rendait Shion un peu soucieux. Il connaissait très bien Haine, trop bien pourrait-elle se dire dans certains mauvais moments. Haine, il la connaissait comme une fille pétillante de vie, qui ne passe jamais une journée sans sourire une bonne dizaine de fois. En fait, c’est son opposé ; si on considérait Haine comme le soleil, Shion serait surement la lune, et j’en passe. Il guetta la prochaine réaction de sa collègue, son doigt plein de crème encore dans sa bouche. Il finit cependant par la retirer, et de continuer son manège pour faire semblant de croire qu’il ne voyait rien. Car oui, Shion ne voyait presque rien dans certains cas, il ne comprenait presque pas la sous-entendu et comprenait la chose au mot près. Haine Teruko était un sujet à part, voilà tout. Ce n’est quand entendait les paroles du professeur qu’il cessa de prendre de la chantilly. Shion regarda Haine comme s’il n’avait pas entendu la chose, comme si elle avait dit la chose la plus idiote au monde.

« Ça veut dire quoi, ça ? »

Oui, la brune avait réussit à prendre le brun au dépourvu, et quelle réussite ! Il avait complètement délocalisé son attention sur la chantilly. « Tu es mon meilleur ami, n’est ce pas ? » « Tu es mon meilleur ami, n’est ce pas ? » Quelque chose n’allait pas. Cette question, elle ne se posait pas. Elle était évidente, pourtant. … C’est vrai qu’il n’était pas franchement démonstratif, mais quand même. Il avait fait tellement de choses ensemble, des plus connes au plus folles. Elle l’avait tellement transformé, que maintenant, il était trop tard pour se poser cette question. Ils n’allaient quand même pas faire comme dans ces vieilles séries stéréotypées, main dans la main avec comme terrain, un simple parc, se murmurant « meilleurs amis pour la vie ». Non. Non, ça ne les correspondait pas. Ils étaient trop décalés pour ça, trop opposés, trop inconscient, trop tout. Cependant ensemble, ils formaient une sorte d’équilibre impensable. C’était ça leur lien, c’était tout. Mais en voyant la tête d’Haine, il préféra quand même répondre, faisant disparaitre cet air incrédule pour un soupir désabusé, de sorte à ne pas l’inquiéter. Il en avait stoppé sa quête de sucreries.

« Évidemment. »

Cette fois-ci, il avait mesuré ces mots, de sorte à ne pas déraper. Il avait déjà causé assez problème à cause de son vocabulaire imprécis. Pas trop long, pas d’emploi de « normalement », normalement ça devrait passer. Et puis, Shion se mit à réfléchir, laissant son souffle crée une espèce de fond sonore. Haine n’était pas le genre de personne à se poser de question idiote, m’enfin si ça arrivait.. Assez souvent mais là n’est pas le problème. Par réflexe, il attrapa le menton de l’adulte, la coupant au passage, de sorte à ce qu’il ne bouge pas et ainsi, il exerça une brève pression – tiède - sur ses lèvres sèches. Il ne chercha pas à ce qu’elle ne l’approfondisse, non. C’était naturel, cependant, les prunelles encres de Shion se dirigea automatiquement vers les pupilles de la Teruko. Il recula, encore jambes croisés, demanda tout simplement.

« Qu’est ce qu’il se passe ? »

Age

Shion répondit à sa boutade sur sa saveur exquise par une autre, mettant en jeu le fait que cette fameuse crème lui volait son sommeil. En temps normal, Haine se serait exclamé que c’était faux et que cette accusation était tout à fait infondée, qu’il amène des preuves et ils en reparleraient ! Mais elle se contenta de sourire faiblement, riant faux en jouant avec ses cheveux. Elle ne se souvenait pas de l’avoir tellement dérangé que ça, ces derniers temps. Sauf peut être le soir d’Halloween où, après une soirée particulièrement déprimante, elle s’était introduite chez lui pour lui voler son pot de Nutella. Seulement voilà, il ne dormait pas, c’est donc à deux qu’ils vidèrent le pot de pâte à tartiner ce soir là et c’est dans le lit de son collègue qu’elle finit par passer la nuit. Et je vous détrompe tout de suite, au réveil, tous vêtements étaient toujours sur elle.

Mais cette bref séquence nostalgique n’avait fait qu’ajouter à ce mal être qui croissait dans son ventre et finit par l’obliger à cesser toute activité pour mettre les choses au clair. Elle ne savait pas trop ce qu’elle voulait dire, ce qu’elle voulait entendre, ce qu’elle voulait éclaircir et ce qu’elle voulait oublier, mais cela devait être fait. Alors Haine posa la question qui lui brûlait les lèvres et attendit patiemment, les yeux rivés sur ses mains pleine de chantilly, la réponse de Shion.

« Ça veut dire quoi, ça ? »

Il avait l’air en état de choc. Il la fixait avec un air incrédule, comme si elle venait de prononcer la plus grosse connerie de sa vie - ce qui était peut être effectivement le cas. Ses pupilles noires étaient rondes d’étonnement et il en avait même oublié sa quête de sucrerie. Puis, les secondes passant, ses sourcils se froncèrent et c’est un regard soucieux qu’il posa sur elle. Comme fautive, la jeune femme rentra légèrement sa tête dans ses épaules, ne sachant comment réagir au trouble apparent qu’elle venait de cause à son ami. Peut être devrait lui dire d’oublier. C’était bien, ça. Partir d’un grand éclat de rire et lui asséner une tape virile dans le dos avec un « J’t’ai eu ! T’as vraiment cru que j’étais sérieuse ? Haha, mais quel con ! » et ce serait reparti, ils se remettraient sur la gueule et tout redeviendrait comme avant. Le brun oublierait en un rien de temps la bizarrerie de sa compagne et ils pourraient à nouveau jouer comme les deux gamins qu’ils étaient. Ensemble pour toujours, toi et moi forever, amis pour la vie, BFF together. Elle prit une longue inspiration, prête à lui dire tout cela. Quand l’air se bloqua dans sa poitrine. Meilleurs amis pour la vie. Était-ce vraiment ça ce qu’elle voulait ?

« Évidemment. »

Shion mit fin à sa reflexion. Avec un soupir, il venait de lui donner la clef de sa prison de doutes. Mais oui, évidemment. Bien sûr, qu'est ce qu'il pouvait être d'autre ? Ce qu'elle avait pu être idiote ! Souriant dans le vide, elle se mit à rire doucement en pensant à toutes ces étranges pensées qui lui avaient traversé la tête.

« Oui, évidemment. Ah, excuse moi, je sais pas ce qu'il m'a pri- »

Il lui attrapa brusquement le menton, posant ses lèvres sucrées sur les siennes qui l'étaient tout autant. Haine écarquilla les yeux, son coeur ayant déjà arrêté de battre. Puis, son regard planté dans le sien, il éloigna lentement son visage, rompant le contact de ses doigts sur sa peau au dernier moment. Le souffle court, elle le fixa sans savoir comment réagit. Qu'est ce qu'il venait de faire au juste ?!

« Qu’est ce qu’il se passe ? »

Il semblait terriblement sérieux. Haine laisse retomber sa tête sur sa poitrine avec un soupir désespérant. Le connard. Elle qui se croyait tirée d’affaire. Il venait de lui assurer, une lueur de serment dans le regard, qu’ils étaient les meilleurs amis du monde et voilà que, l’instant d’après, il l’embrassait. Ne réalisait-il pas à quel point ces deux actions étaient contraires ? On n’embrasse pas sa meilleure amie. On la regarde pas avec les mêmes yeux qu’on regarde une femme. En fait, on ne la considère pas comme une femme. On peut la trouver jolie, lui faire des compliments. Mais on a pas de petit montre qui grogne dans le ventre quand elle va retrouver d’autres garçons. On ne la regarde pas s’éloigner le cœur brisé. On ne lui caresse pas les cheveux, les joues. On ne couche pas avec non plus.

Ce n’était arrivé que deux fois, mais c’était deux fois de trop. La première, c’était à cause de Titanic. Et puis, ils ne se connaissaient pas encore énormément à l’époque et le lien d’amitié durable qui existe maintenant entre eux n’était pas encore créé. La deuxième, c’était tout simplement à cause d’une soirée trop arrosée comme il y en a tant d’autres. Découragée, Haine appuya son front sur celui de Shion. Plongeant son regard de braise dans le sien de nuit, elle répondit à sa question par une autre :

« Pourquoi tu as fait ça, Shion ? »

Elle attendit quelques secondes avant de se décoller et posa sa tête dans sa main, le coude appuyé sur son genou. Sa position commençait d’ailleurs à être inconfortable, elle avait besoin de bouger et se dégourdir les jambes. Mais pas maintenant, plus tard. Là, elle devait rester en place.

« Je sais bien que tu n’es pas une fille et, en tant que garçon, je sais aussi que certains gestes n’ont pas la même importance selon le sexe mais… Enfin… Je sais pas, je trouve pas mes mots.

Haine prit une longue inspiration, les yeux fermés pour se concentrer et essayer d’exprimer ce qu’elle voulait. Ce n’était jamais facile, mais elle devait le faire. Elle en avait besoin.

_ Je…, commença-t-elle laborieusement. Je ne sais pas ce que nous sommes, voilà. »

Shion pouvait être un bon observateur, quand il se doutait de quelque chose ou juste quand il trouvait le monde un peu trop silencieux. A ce moment là, ses prunelles n’obscurcissent encore plus, et il semble comme s’ouvrir au monde, découvrir de nouvelles choses. Pour Shion, ce qui a changé depuis son « enfermement ».M’enfin, ce phénomène, c’est comme quand une étoile filante jaillit dans le ciel, avant de s’éteindre à l’autre bout de l’univers. Aujourd’hui, l’étoile filante avait encore jaillit, violemment, sans prévenir, étincelante. Haine aurait du faire plus attention. Même le dernier des idiots aurait pu voir que quelque chose clochait chez elle. Shion y avait fait tout de suite très attention. Ce n’était pas le genre d’Haine de sombrer soudainement dans une soudaine mélancolie, évidemment, quand cela arrivait, Shion agissait vite. Non, il ne la réconfortait pas, il allait droit au but plutôt. Plus tôt, le problème sera éradiquer, mieux ce sera. Et puis, Haine n’était pas faite pour se faire consoler non, c’était une personne forte qui ne se laissait jamais facilement abattre. Evidemment, il ne la pressait pas pour répondre, même si la légère pression qu’il lui avait offerte semblait être de cette tendance. Maladroit dans les sentiments comme il est, il n’avait rien trouvé de mieux pour la consoler. Peut-être que ça la rassurerait, avait-il pensé distraitement. Il n’aurait jamais pensé qu’il aurait brisé le cœur d’Haine. De sa meilleure amie.

« Pourquoi… ? »

Et là, tu ne comprenais plus rien. Tu t’étais comme réveillé d’un long et paisible rêve, après avoir reçu une claque phénoménale. Tu ne distinguais plus les paroles de sa collègue. « Pourquoi tu as fait ça, Shion ? » « Je sais bien que tu n’es pas une fille… » « Je ne sais ce que nous sommes, voilà. » Il trouva ça perturbant, énervant. Pas ses paroles bien-sûr, non, son incompréhension soudaine. Cependant, sa tête ne reflétait pas son esprit, non, disons que ses mèches cachaient ses yeux. Pourquoi ? Parce que Shion était le dernier des idiots, parce que Shion ne comprenait rien à rien aux sentiments venant du sexe opposé. Qu’il avait l’habitude de ne pas faire attention à ça, et que désormais, il faisait face à un problème de poids. Il pensait qu’elle le savait. Ses baisers qu’il lui donnait, ça ressemblait plus à de l’affection qu’à ses choses animales – qui ne signifiait aucun respect - qu’il offrait à d’autres. Qui était Haine pour lui ? Disons que c’est l’une des rares personnes avec qui il peut parler de tout et de rien, avec qui il peut s’amuser sans contrainte. On aurait pu les considérer comme meilleurs amis, mais c’était bien plus que ça. Que dire, leur relation était extrêmement ambigu, et il y avait tellement de choses à dire que l’on ne finirait jamais. Depuis qu’elle avait parlé, il ne savait plus quoi dire, de peur de se rater à nouveau, de tout casser. Il ne fit qu’expirer de façon clair, et de passer sa main sale dans ses cheveux, avec un regard pas franchement digne d’un film dramatique. Il avait l’air… très ennuyeux – ou manière de décoincer intentionnellement une situation - Il devait réfléchir encore plus que d’habitude, et ça, ça ça le faisait chier. Shion, ce n’était pas un adepte des triades de monsieur Cyrano, il n’était pas le genre de personne à dire des phrases complètes. En fait, quand ça arrivait… et bah ça arrivait, comme ça, s’en prévenir, se surprenant lui-même, avant d’arrêter de parler et de s’exprimer en langage des signes, ou avec des bouts de papier.

« Mmmh, t’sait personnellement, je m’en fiche un peu de ce qu’on est. Tous les deux, on est quelque chose tous les jours. Un jour, simples amis, le jour suivant, mari et femme, le jour suivant, meilleurs amis… ça m’amuse pas du tout de te voir comme ça t’sait. Peut-être que ça se voit pas parce que je suis pas du genre… tu vois... démonstratif. … »

Shion, extrêmement gêné, passa une main sur sa nuque comme pour se « soutenir », avant de fouiller dans son téléphone et de tapoter quelque chose, avant de lui montrer l’écran en détournant les yeux.

J’essaierai de faire plus attention à mes gestes, parce que j’vois que ça te blesse. Je sais jamais comment m’y prendre avec toi, t’sait mine de rien, t’es la plus importante à mes yeux.

Il grommela légèrement quand il se redressa et pris les mains d’Haine pour qu’elle se lève également. Tous les deux, droits comme des i, il entraîna Haine dans ses bras, lui tapotant légèrement le dos comme on le fera à un petit enfant, tout en serrant son emprise. Si ça aussi ça la perturberait, c’est qu’il y avait quelque chose de pas normal dans sa tête. Il la lâche, avant de dire cette fois, les yeux dans les yeux.

« Si t’a quelque chose qui te tracasse, dit-le. »

Age

« Pourquoi… ? »

Oui, pourquoi. Rien d’autre ne comptait que ce « pourquoi », que la raison de son acte. Les divers aliments qui lui grattait la peau, la chantilly qui avait réussi à couler jusque dans son soutien-gorge, ses vêtements bon pour la poubelle tellement ils étaient irrécupérables, la pétition qu’allaient signer les femmes de ménages quand elles verraient l’état de la cuisine, les murmures inquiets venant du couloir à cause des bruits de lutte qu’ils avaient cru entendre dans la pièce. Haine s’en fichait, les yeux rivés sur Shion. Elle savait bien qu’on avait déjà prévenu un surveillant qui avait du appeler l’administration qui avait sûrement dû appeler le concierge afin d’ouvrir la porte et voir s’il y avait eu meurtre ou non. Mais Shion allait parler, donc le reste n’avait aucune importance.

En fait, ce dernier semblait plongé dans la plus totale des réflexions. Elle aurait pu s’en vouloir de le perturber de la sorte, mais il était trop tard pour faire marcher arrière. Elle avait essayé, une fois, et ce crétin l’avait embrassée. Maintenant, elle voulait une réponse claire et nette. Pas question de le regretter plus tard, Haine Teruko n’était pas femme - ni homme - à vivre avec des regrets. Assumant toujours ses choix jusqu’au bout, c’était pour elle la meilleure façon de vivre. Mieux vaut avoir des remords que des regrets. Elle préférait avoir trop vécu que pas assez.

Ses mèches noires devant ses yeux, le jeune homme était impassible. Ou peut être était-il censé l’être. Elle, elle voyait qu’il se prenait la tête. Shion était une personne maladroite par nature et même s’il le savait, ça ne l’empêchait pas de faire des bourdes de temps à autres. Mais là il réfléchissait sérieusement. Ce qu’il allait lui dire, c’était quelque chose de longuement mûri, pas la première phrase qui lui passerait par la tête. L’enseignante considérait cela comme l’un des rares avantages que lui conférait sa remarquable amitié avec Shion ; pouvoir parler avec lui sérieusement, sans qu’il lance des répliques à peine pensées que déjà exprimées, vide de sens et parfois d’âme. Quand elle entendait au tournant d’un couloir une discussion qu’il avait avec un autre professeur, elle souriait devant cette conversation à sens unique.

Finalement, le brun sembla s’éveiller de son immobilité de statue, une main gênée passant distraitement de sa chevelure. Rien qu’à son regard, Haine sut qu’il était au bord du rougissement par anticipation. Oh ?

« Mmmh, t’sais personnellement, je m’en fiche un peu de ce qu’on est. Tous les deux, on est quelque chose tous les jours. Un jour, simples amis, le jour suivant, mari et femme, le jour suivant, meilleurs amis… ça m’amuse pas du tout de te voir comme ça t’sais. Peut-être que ça se voit pas parce que je suis pas du genre… tu vois... démonstratif. … »

La jeune femme se sentit littéralement fondre devant tant d’embarras et de gentillesse. Car, après tout, ce n’est pas tout le monde qui peut se venter d’avoir vu un Tsukiyo attentionné, peut être même se comptent-ils sur les doigts d’une main. Mais la situation était tout de même assez cocasse. Il s’excusait de ne pas être démonstratif alors que c’était au contraire ses gestes qui l’étaient trop qui les avaient mis dans cette situation. Haine ne voulait pas qu’il change cette partie de sa personnalité, non. Elle s’en fichait qu’il n’y ait pas écrit ses pensées sur son front, vu qu’elle lisait déjà en lui comme dans un livre ouvert. Il suffisait de savoir observer. Shion se détourna et attrapa son portable, apparemment trop gêné pour continuer à haute voix. Sa collègue aurait aimé lui poser encore d’autres questions. « Oui, on est tout ça tout les deux, mais est-ce qu’il n’y a pas une possibilité qui te plait plus que les autres ? Une que tu voudrais que l’on soit à temps plein ? » mais elle n’osa pas. Elle savourait déjà l’avalanche de tendresse inhabituelle que déversait Shion sur elle, elle n’allait pas faire sa chieuse et en demander plus. Pour l’instant, ça lui suffisait largement. Il finit par lui tendre son téléphone, un message tapé à toute vitesse sur l’écran, le visage détourné pour qu’elle ne lise pas entre les lignes.

J’essaierai de faire plus attention à mes gestes, parce que j’vois que ça te blesse. Je sais jamais comment m’y prendre avec toi, t’sais mine de rien, t’es la plus importante à mes yeux.

Elle leva sur lui le regard le plus doux qu’elle ait jamais levé.

« Pour moi aussi, tu es le plus important. »

Il grommela pour toute réponse et elle n’en attendait pas plus de lui et sourit, amusée. Il avait formulé au moins 4 phrases, c’était déjà un exploit digne de ce nom. Puis il se redressa et la tira dans ses bras, lui faisant un vrai câlin de compétition comme on en voit que peu. Haine le sera de toutes ses forces, enfouissant son visage et ses yeux fermés dans le creux de son cou. Elle ne savait pas ce qu’elle voulait et encore moins ce qu’elle ressentait, mais elle se contenterait de ça. Des bras de Shion quand elle allait mal et de son odeur dans ses poumons. C’était tout ce dont elle avait besoin.

S’éloignant après leur étreinte, les mains toujours unies, le jeune homme la regarda dans les yeux cette fois avant de lui poser cette question d’importance capitale :

« Si t’as quelque chose qui te tracasse, dis-le.
_ Non, non, dit-elle en secouant doucement la tête. Tout va bien, je t’ai demandé tout ce que je voulais savoir. »

Elle lui sourit et ne dit plus rien, laissant le bruit de leurs respirations combler le silence entre eux. C’était peut être la plus sûre des paroles. Soudain, un grand fracas les fit tout deux sursauter. Quelqu’un était en train de s’exciter contre la porte, sûrement dans le but de la défoncer. Haine se mit à rire à cœur joie, avant de retourner ses yeux de braise sur Shion.

« Je crois qu’on a fait un peu trop de bruit en se disputant. On fait quoi, maintenant ? On leur ouvre ? »

Tout est bien qui finit bien, comme on dit ici. Enfin, c'est plutôt moche autre part que dans des contes de fée. Ça le faisait moyen avec deux personnes tel que Haine et Shion. Ils s'étaient « battus », parlés, et puis ils se sont réconciliés. Comme toujours, y avait pas moyen de toute façon. Shion l'aurait pourchassé une fois ses broutilles accomplies. « Pour moi aussi, tu es le plus important. » L'avait agréablement surpris, il avait été étonné de voir Haine parler à nouveau. Elle - étant donné qu'Haine était en femme - ne savait comment elle le faisait plaisir à parler ainsi. Il fût submerger par quelque chose de fort, de puissant, d'étrangement doux - surement le bonheur - mais elle n'en vit rien, il logea sa tête au creux de l'épaule d'Haine, se laissant entraîner, l'emprisonnant au passage. Ce n'était pas son genre, non. Il n'était pas ce que l'on nomme « bisounours ». Il était maladroit, idiot, passait facilement pour un abruti de première, et était irrémédiablement con. Mais voilà, il arrivait qu'il réagissait à cet élan de tendresse, un peu comme la mère avec son enfant. Cette fois-ci, c'était Haine qui jouait le rôle de la mère, même si ce rôle était mal choisi pour elle. Trop fougueuse, trop enfantine. Enfin passons, tout ce qui compte, c'est que tout était fini. A la fin de l'éternelle étreinte, son regard papillonnait autour de la cuisine avant de se poser sur le visage d'Haine. La peau d'Haine, les yeux d'Haine, les cheveux d'Haine. Il ne fit que caresser d'une main la chevelure soyeuse de l'adulte, baissant la tête trop gêné, et sentir cette sensation d’étirement sur ses lèvres. Il redressa sa tête, assumant ce geste hors-du-commun, articulant de façon inaudible, un mot qui la fit fondre. La magie faisait encore effet une fois la chose passée, Shion, lui, ne fit que s'étirer, observant la Teruko. Elle n'avait plus rien à demander, cette fois-ci elle n'avait laissée aucune trace d'une quelconque anxiété, il laissa passer. Même si étrangement, quelque chose d'amère semblait flotter en elle. Ça ne devait être que lui, et son imagination un peu trop débordante.

Les deux professeurs furent surpris par des bruits émanant de la porte de la cuisine, Shion soupira tandis qu'Haine lança un rire bref, qu'il ne tarda pas à suivre devant l'absurdité de la situation. Croyaient-ils qu'ils allaient s'entretuer et finir comme morts à terre ? La cuisine était en très - et c'est un euphémisme - mauvaise état, et s'ils ne s'étaient pas criés dessus, on aurait pu imaginer que les deux adultes pieutaient, peinards. Que devaient-ils faire ? Actuellement, Shion avait envie de se faire passer pour un connard de première.

« Par la fenêtre ? »

Shion suivi le regard rieur d'Haine, lui affirmant qu'elle était partante. Deux gloussements plus tard, ils s'étaient armé pour monter sur un des plans de travail qui donnaient accès à une fenêtre. Shion prit soin de laisser quelques goûtes de ketchup par terre, même s'ils passeraient surement inaperçu avec tout le bordel qu'il y avait. Un bordel, comme leur relation - terriblement bordélique d'Haine et Shion -. Mais étrangement résistante. Leur lien.

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