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Rendez-vous minuit à la cuisine. Oublie pas ou j'te marrave ta tête ! Viens en tenue ninja pour passer inaperçu. MOUAHAHAHAHA ! Top secret hein. Parles-en à PERSONNE, t'as compris ? Et fais grève de la faim jusqu'à ce soir ! Je te dirai de quoi il retourne au moment voulu.

Hikari

Après une rapide relecture pour ne pas passer pour une idiote avec d'éventuelles fautes d'orthographe, la jeune fille satisfaite mit sa lettre dans une enveloppe qu'elle destina à Kain. Après une brève hésitation, elle rajouta un "Hyuga, repose ça tout de suite, crétin !" juste au-dessous, puis glissa son mot sous la porte de la chambre de son frère, qui avait dû participer à une activité pour son club de musique. Il ne lui restait plus que six heures à faire passer avant le rendez-vous où elle dévoilerait son plan à son jumeau. Sans se douter que son soi-disant plan sous-entendu était transparent dans sa lettre.

***

Minuit moins quart. Enfin ! Hikari ouvrit les yeux dans la pénombre de sa chambre, le cœur battant à toute allure. Voilà ce qui lui fallait pour se motiver dans ces jours banals dans l'académie. Une bonne dose d'adrénaline de temps en temps !

Elle se glissa hors de ses couvertures sans bruit, se leva et se changea sans bruit, avant de se faufiler au-dehors à pas de loup, surveillant du coin de l'œil ses colocataires qui dormaient à poings fermés.

Quiconque se serait promené cette nuit-là aurait vu une minuscule silhouette entièrement noire avec de gros pieds. Oui, quand on dit ninja, c'est ninja. Alors Hikari avait déballé le grand jeu : tenue sombre, bonnet à pompon - oui, elle n'avait que ça - qui dissimulait ses cheveux de couleur trop voyante, et foulard qui couvrait la moitié inférieure de son visage. Foulard avec un motif dinosaure. Un dinosaure avec de grandes incisives et des yeux qui louchaient, et un couteau de cuisine sanguinolent dans la main. Parce qu'il fallait toujours la "touche personnelle mignonne" pour adoucir une tenue ninja, selon elle. Il n'y avait qu'elle pour trouver un dinosaure trisomique et psychopathe mignon, mais c'était ce qui faisait son charme... Toujours est-il qu'avec ça, elle était plus que parée - légèrement ridicule mais parée - pour affronter le monde hostile de l'académie après le couvre-feu.

Quant aux gros pieds, c'était certainement dû à ses énormes pantoufles Lapinosaurus. Un dessin animé fantastique, qui racontait les aventures de Lapinosaurus, un lapin très attachant, toujours accompagné de sa fidèle tronçonneuse, prêt à tout pour découper en parts égales ses adversaires. Un des personnages préférés de Hikari. Alors oui, même si ses pas émettaient des bruits des frottements qui s'entendaient de loin, elle n'était pas prête de laisser ses pantoufles chéries dans sa chambre.

Le trajet jusqu'à la cuisine se passa trop bien à son goût : il n'y eut aucun défi à relever, aucun surveillant à assommer. Déçue, elle arriva donc au lieu de rendez-vous quelques minutes avant l'heure convenue. Il ne lui restait plus qu'à attendre Kain. Parce qu'il viendrait, c'était sûr et certain : il ne l'avait jamais abandonnée.

« Bonnet de merde », maugréa-t-elle, tentant de faire rentrer ses mèches rebelles dans son couvre-chef.

Hikari redressa brutalement la tête en entendant son jumeau, envoyant en arrière le pompon de son bonnet qui rebondit contre l'arrière de son crâne. Enfin ! Aux anges, elle eut un sourire radieux mais se contint. Autant profiter de la situation.

« Qu'est-ce que vous faites là ? commença-t-elle, prenant une voix de stentor qui ne lui allait pas du tout et sonnait assez étrange. Vous ne devriez pas être en cours - euh, dans votre dortoir - jeune enf-pfrr »

Bon, d'accord. Elle avait craqué. Elle se faisait rire toute seule, certes. Mais il était dur de résister à l'hilarité lorsque vous tentiez d'imiter quelqu'un, non ? Et puis, la simple présence de son frère la mettait tant en joie qu'elle ne parvenait pas à garder son sérieux. Son fou rire dura vingt bonnes secondes, puis elle se reprit tant bien que mal et s'approcha de son frère.

« Bon, bref, oui, c'est moi. » Elle le jaugea rapidement du regard en fronçant les sourcils. « Je sais pas où j'ai raté ton éducation. Quand on dit tenue ninja, ça sous-entend les cheveux CACHÉS ! Bon, c'est pas grave. »

Sûrement aurait-elle dû remarquer en premier la tenue vestimentaire de son jumeau tout aussi singulière que la sienne et nettement plus voyante, mais, pour elle, les cheveux étaient une priorité. On ne peut pas prétendre être un ninja si on a la tête à l'air. En plus, elle était la seule à crever de chaud avec son foulard et son bonnet.

La jeune fille se frotta les mains avec une expression machiavélique. Le plan commençait dès maintenant.

« Si je t'ai convoqué ici, jeune enfant, c'est pour... que l'on découvre la cuisine de nuit ! Haha, tu t'y attendais pas, à celle-là, hein ? Question prononcée sans une once d'ironie. J'ai chopé les clés au responsable du club, on peut donc ouvrir. Je sais où sont les placards à bouffe. On va en ramener un max ! ... J'ai oublié le sac. Bon, on rassemblera tout ce qu'on peut dans nos poches, mais surtout, on bâfre toute la nuit ! »

Elle adressa un clin d'œil à son complice, puis sortit un trousseau de clés de sa poche. Elle chercha la bonne en grommelant, plissant les yeux pour essayer d'y voir quelque chose malgré le manque de lumière. Au bout de deux minutes d'intenses recherches, elle put enfin déverrouiller la porte en faisant le moins de bruit possible.

« Après toi, daarling ~ »

Une discussion qui commençait tout juste. Quelques mots échangés avec des sourires anodins, mais déjà Hikari se sentait pleinement vivante, prête à vaincre n'importe quoi pour attraper des macarons avec son frère. L'excitation de sa chasse au trésor nocturne n'avait qu'une petite part de responsabilité dans le battement accéléré de son cœur ; il n'y avait pas à dire, la simple présence de Kain la remplissait d'une joie si intense qu'elle en oubliait tout le reste.

La jeune fille referma soigneusement la porte à clé derrière elle, puis rattrapa le garçon en trottinant. Évitant les obstacles dissimulés par l'obscurité, et déjouant les pièges que la cuisine lui tendait, il progressait lentement et dans le plus grand silence possible, avant de sortir son téléphone portable. Une seconde plus tard, l'appareil émettait une lumière presque aveuglante qui lui facilita grandement la tâche.

Hikari se rembrunit. Elle n'aimait pas les portables, pas du tout. Le sien, elle ne s'en était jamais servi ; il prenait la poussière dans un tiroir du bureau de sa chambre et n'avait jamais perdu plus d'une brique de batterie depuis qu'elle l'avait acheté. Déjà, pianoter sur un clavier riquiqui dont elle ne comprenait pas le fonctionnement, très peu pour elle. Ensuite, elle n'en voyait pas l'utilité : les seules personnes avec lesquelles elle était en contact étaient dans l'académie, et il lui suffisait d'aller les voir pour leur parler. Certes, les téléphones portables avaient de nombreux avantages, mais ils lui évoquaient des choses auxquelles elle ne voulait pas penser.

L'image de Kain entouré de sa cour habituelle de filles pulpeuses et niaises, comme cette idiote de Miss Cheveux Couleur Chewing Gum, s'imposa à elle. Un sentiment de jalousie lui tordit l'estomac et lui retourna les intestins. Chagrin et haine combattaient vaillamment dans son esprit, tandis qu'elle tentait tant bien que mal de les repousser.

Miss K avait découvert un nouvel aspect de son caractère en entrant à Aomori. Elle était possessive. Habituée à être celle sur laquelle se reposait Kain, elle avait dû faire face à un brusque revirement de situation où le garçon, loin d'être martyrisé, était l'objet de toutes les convoitises féminines. D'abord heureuse pour lui, elle avait vite découvert l'ombre au tableau. Était-ce normal d'être aussi blessée en de telles circonstances ? Après quatre ans, elle avait pourtant largement eu le temps de s'habituer...

« Dans l’congelo il y a les glaces ! Et puis il y a les macarons chocolat ici. »

Elle reprit brutalement ses esprits et battit des paupières.

Impressionnant comme ses idées pouvaient partir en vrille en l'espace de quelques secondes.

« Ah ? Euh... Ah ouais ! Trop bien ! Faudrait peut-être les prendre en dernier, sinon ça va fondre... Bah, remarque, tant pis hein, on profite tant qu'on peut ! »

Elle s'approcha du jeune homme et prit trois macarons dans la boîte qu'il venait d'ouvrir, qu'elle enfonça dans sa bouche sans plus de manières.

« Prem's pour les glaaces ! » articula-t-elle tant bien que mal, la bouche pleine, en ouvrant le réfrigérateur.

« Oh, y a quelqu'un ? » Son sang ne fit qu'un tour. Un faisceau lumineux apparut sous la porte de la salle. « C'est encore le club de cuisine qui a oublié d'éteindre... Merde, c'est fermé à clé. Attends que je trouve la bonne clé... »

L'adolescente retint sa respiration, les yeux écarquillés. Déjà une tuile ? Elle chercha frénétiquement une issue, une solution de secours, mais son cerveau n'était pas apte à réfléchir rapidement. Elle se tourna vers son frère, prise de panique, attendant qu'il prenne une décision pour les sortir de ce mauvais pas.

Le cœur de Hikari sembla vouloir s'échapper de son corps. Martelant sa cage thoracique avec une telle force que c'en était douloureux, l'organe semblait heureux de se mettre en valeur et d'avoir son quart d'heure de gloire ; ses coups de plus en plus rapides et insistants résonnèrent dans la tête de la jeune fille, se faisant assourdissants. Sûrement n'était-ce pas la réaction attendue de la part d'une adolescente sur le point d'être prise en flagrant délit avec des macarons pleins la bouche, mais elle injuria violemment - et mentalement, il faut croire qu'il lui restait un peu de raison - ce truc riquiqui qui prenait autant de plaisir à la torturer dans un moment pareil.

Enfin, alors que les clés étaient sur le point de s'introduire dans la serrure, son frère réagit. Il entra avec elle dans la chambre froide et claqua la porte derrière lui. Stupidement, elle ouvrit la bouche. Pour dire quoi, elle n'en savait rien : elle avait besoin de parler, voix tremblante ou non, pour se rassurer, comprendre que la situation n'était pas si grave que ça. Mais Kain la connaissait encore mieux qu'elle-même, et il jugea bon de l'écraser contre le mur en plaquant sa main contre ses lèvres. Hikari parvint à émettre un marmonnement mécontent inintelligible en fronçant les sourcils.

Le dialogue des surveillants lui paraissait lointain. C'était les battements de son cœur qu'elle entendait. Elle sentait à peine le froid de la salle, plutôt la tiédeur rassurante du corps de son frère tout près du sien. Et elle ne voyait pas l'exiguïté de la pièce, que lui dissimulait le visage proche de Kain. Il était beau, d'ailleurs. Des souvenirs idiots lui revinrent en mémoire. Elle se revit, enfant insomniaque, en train d'observer son jumeau endormi dans le lit voisin. Elle avait toujours su qu'il était beau. En primaire, les gens ne s'en rendaient pas compte, ou alors était-ce de la jalousie. Mais Kain était magnifique. Un visage parfait, un regard brillant, un sourire splendide, des cheveux... beaux. Très beaux. Elle l'avait su avant tout le monde.

Il allait falloir lui expliquer pourquoi cet organe à deux balles battait encore plus vite qu'avant.

Un contact sur son front.

« Tu as froid ? »

Elle eut un sourire radieux. Ouaip, son frère rien qu'à elle. MOUAHAHAHAHA !

« Euh... Pas tout de suite mais ça va venir. Mon T-shirt est tout fin et à manches courtes, j'ai accessoirement mis un short mais au moins j'ai un bonnet. »

Et voilà que Kain s'éloignait. Elle avait déjà la chair de poule.

« Ouais, en fait j'ai bien froid là, admit-elle en se frottant énergiquement les bras. Mais... C'ÉTAIT GÉNIAL, NON ? J'ai eu la trouille de ma vie, c'était troooop bien ! Heureusement que t'étais là, je me serais fait choper sinon ! C'est bien mon frère ça ! »

Elle dut se mettre sur la pointe des pieds et sautiller un peu pour parvenir à lui ébouriffer les cheveux en riant.

« Non, sans dec, c'était génial, en plus maintenant on a les glaces pour nous ! Putain, j'ai vraiment trop froid là... »

En claquant des dents, elle essaya timidement d'ouvrir le frigo. Vraiment trop froid pour elle. Elle prit une grande inspiration. Son corps se refroidissait à toute allure ; c'est à peine si elle réalisait qu'elle ne pourrait certainement pas passer la nuit dans ces conditions. Le portable - argh - ne passait certainement pas, et il allait falloir attendre le petit matin avant que quelqu'un passe par là. Elle pouvait bien crier, le son ne passerait pas à travers la porte.

L'idée de rester coincé ici toute la nuit l'amusait. Une inconscience assez dangereuse.

Kain ne semblait pas vouloir réagir. Le regard vissé sur la porte qu'elle essayait d'ouvrir, Hikari fronçait les sourcils, légèrement déstabilisée et vexée par le silence de son frère. Il n'avait jamais été bien bavard - surtout qu'elle lui laissait rarement l'occasion d'en placer une -, mais de là à être muet comme une carpe...

« Parle à mon cul ma tête est malade, hein... » grommela-t-elle avant d'envoyer un coup de pied rageur dans la porte blindée qui refusait de céder.

Une main se glissa dans la sienne, puis son jumeau la prit dans ses bras. Une tentative pour la réchauffer ? La jeune fille se permit un sourire. Aurait-il étreint avec tant de tendresse toutes ces vaches à lait à trois sous, hein ? Depuis le temps où elle câlinait son frère, elle aurait dû s'habituer à son contact, mais son cœur - décidément bien heureux de jouer du tam-tam sur ses voisins - était poussé par un élan de rébellion.

Son corps entier se crispa lorsqu'elle sentit le souffle de Kain dans son oreille, qui déclencha en elle un fou rire incontrôlable qui brisa légèrement la magie de la scène. Elle parvint à lâcher entre deux hoquets de hilarité un « Mais tu sais que je suis sensible des oreilles, merde ! », mais n'obtint aucune réponse. Bon.

Sa crise nerveuse terminée, rien ne semblait se passer. Les secondes se transformèrent en minutes, qui s'égrenèrent à une lenteur alarmante, paraissant s'étendre sur une éternité. Pour une fois, Hikari n'avait pas envie de bouger. Elle était bien. Peut-être un peu trop. Aussi heureuse que s'il s'agissait d'un petit copain attentionné dont elle serait folle amoureuse, ce qu'elle n'avait jamais désiré. Son frère lui avait toujours suffi. Il faisait office de famille, d'ami, de compagnon. Cette relation lui avait toujours semblé normale ; certes, ses amies n'avaient pas de liens aussi forts avec leur éventuel frère, mais jamais elle n'avait remis en cause le statut de leur relation de bonne entente et de complicité.

Elle avait pourtant de quoi, mais le moment lui paraissait mal choisi pour réfléchir. Au bout de ce qui lui sembla être une vie entière remplie de chaleur et d'amour, Kain se décida à rompre la magie de l'instant. Il se détacha d'elle et attrapa délicatement son menton, de manière à tourner sa tête vers lui. La cadette l'observa en haussant les sourcils, un léger sourire intrigué accroché aux lèvres, se demandant à quoi le garçon pouvait bien jouer. Notre chère, tendre et stupide Hikari, comme toujours incapable de se taire même dans de telles situations, était sur le point de parler lorsque le visage de son partenaire se rapprocha lentement.

STOP !

Il fallait mettre sur pause, comme lorsqu'elle ne comprenait plus rien à un film trop complexe pour elle, faire un retour en arrière, relire les sous-titres et remettre en marche l'esprit tranquille. Tout allait un peu trop rapidement à son goût. La respiration de Kain se mêlait à la sienne, son regard était planté dans le sien, de quoi lui retourner le cerveau. Son cœur, cher organe insignifiant ne vivant que pour emmerder au possible son possesseur, s'envola littéralement. Le sang quitta son visage. L'incompréhension - la peur de l'incompréhension - la pétrifia, la paralysa, l'empêcha d'esquisser ne serait-ce qu'un frémissement de paupières.

Un soupçon mortifiant s'insinua en elle. Il allait l'embrasser, comme dans tous les films, séries, manga, livres, fictions et même scènes réelles qui lui avaient été donnés de voir. Cette idée ne lui déplut pas. La folie s'empara de tout son corps, et elle agit comme elle l'avait toujours fait auparavant : elle obéit à son instinct. Et son instinct l'incitait à s'approcher un peu plus pour finaliser cette action qui ne tardait que trop à venir.

Alors elle se mit sur la pointe des pieds, elle posa ses mains sur les joues du jeune homme et plaqua ses lèvres contre les siennes sans plus de manières.

Une bouffée de chaleur l'envahit.

Elle aurait mieux fait de ne pas réagir, au moins pour cette fois.

La raison l'emporta. Un sentiment viscéral lui rappela qu'elle n'aurait jamais dû faire une chose aussi inhumaine, contre-nature, immonde. La panique remplaça la fièvre qui s'était précédemment emparée d'elle, et elle posa ses mains sur le torse du jeune homme avant qu'ils ne puissent aller plus loin pour le repousser le plus possible.

Haletante, suffocante presque, elle trébucha en arrière, les yeux écarquillés. Des gouttes de sueur perlèrent le long de son front. Qu'avait-elle fait, bordel de merde ?

Il fallait faire retour arrière.

Sauf que la vie n'était pas un film, bien malheureusement pour elle.

Faire semblant, ignorer en bloc le temps de réfléchir, mimer l'indifférence, chaque personne est passée par cette case incontournable pour la construction d'un être humain cohérent. Hikari décida aussitôt de suivre cette voie attirante par sa facilité. Oh oui, c'était lâche - elle avait honte d'être aussi soulagée de pouvoir adopter une attitude aussi confortable malgré la gravité de la situation. Elle n'aimait pas la couardise, celle que l'on voyait profondément ancrée en chaque personnage secondaire d'une histoire. Tout protagoniste d'une fiction digne de ce nom était courageux, brave, droit, prêt à tout pour suivre ses convictions, décidé à ne jamais rien faire qui puisse souiller son honneur. Miss K avait toujours raisonné de cette manière : qu'aurait fait ce personnage trop parfait pour être humain, dans une pareille situation ?

Elle ne trouvait aucune réponse.

Aucune œuvre fictive ne traitait réellement de l'inceste, de peur de rencontrer une réelle impopularité, à moins de traiter le sujet avec humour ou légèreté, et elle ne s'y était jamais intéressée plus que cela. Comment devait-elle réagir pour pouvoir continuer à se regarder dans le miroir ?

La terreur s'empara d'elle.

Elle allait mimer l'indifférence, comme elle avait toujours su bien le faire. Quand elle était tellement en colère, quand elle était si déçue par le comportement immature et mesquin de ses amies, quand elle ne pouvait plus supporter la vue de certaines personnes de son entourage, quand elle avait réellement envie de tuer ou d'étriper ces professeurs hautains et hypocrites. Personne n'en savait jamais rien ! Il lui suffisait de sourire, de répondre l'air de rien, et personne n'avait seulement idée de la rage et de la haine qui la rongeaient de l'intérieur !

Ce n'était pas pareil avec son frère - il allait la percer à jour à coup sûr. Mais elle ne voyait pas ce qu'elle pouvait faire d'autre. Jamais elle ne s'était retrouvée confrontée à quelque chose d'aussi grave. Il lui fallait du temps, simplement du temps pour réfléchir à tête reposée. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était ne pas blesser son frère.

Était-ce de cet attachement trop important qu'elle était coupable ?

Qu'avait-elle fait ?

« Écoute, ne crois pas que je t’ai enfermée ici pour profiter de toi, s’il-te-plaît. »

Comment pouvait-il imaginer une seule seconde qu'elle ait pensé une chose aussi monstrueuse ? Comment son si cher frère pouvait-il se rendre coupable, encore et encore, de tous les malheurs qui leur tombaient dessus ? La gorge de Hikari se serra. Elle ne voulait pas qu'il se sente mal, qu'il se torture toute la nuit, qu'il s'attribue toute la culpabilité de ce crime à deux.

« Hein ? » Sa voix tremblait un peu, son sourire était jaune, son regard était empreint d'une pure frayeur qu'elle ne parvenait pas à chasser. « De quoi tu parles ? » Un rire dénué de crédibilité. « Rah, t'avais la télécommande finalement. On aurait pu sortir avant ! »

Son frère était incapable de faire une chose pareille. Et puis, c'était elle la réelle criminelle - elle n'avait rien fait pour empêcher la future torture psychologique de Kain ; elle ne pouvait décemment pas le laisser dans cet état. Malgré son propre désarroi, elle prit une profonde inspiration, attrapa fermement le poignet de son frère - bien heureusement couvert par son pull - et l'entraîna dehors avec elle. Une seule chose était sûre : elle ne pourrait jamais se séparer de son jumeau, à moins de se donner volontairement la mort.

« S'il-te-plaît, ne pense pas que c'est de ta faute, et je t'interdis d'avoir une nuit blanche », lâcha-t-elle, les yeux fixés sur un point loin devant elle.

C'était trop dur. De rester là dans la même pièce qu'elle. Il était coupable. Coupable d'avoir cru une seconde d'imaginer être avec elle. C'était abject de sa part, une horreur.
Son visage resta triste, alors qu' Hikari activait la porte. Il voulait courir, s'enfuir, mais cela ne résoudrait en rien le problème. Finalement il ne faisait que fuir la situation, sans jamais la prendre en face. Hikari était toujours très sincère et franche. Elle allait droit au but. Sauf peut-être en cet instant. Voulait-elle lui crier dessus ? Contenait-elle sa colère et son dégoût envers lui ?
Il déglutit. L'atmosphère était pesante, lourde, voire insupportable. Mais il devait faire un effort. Elle n'allait rien dire sur ce qui s'était passé, faire comme si il s'agissait d'un cauchemar puis jouer la comédie.

« De quoi tu parles ? » Dit-elle, rajoutant un rire peu sincère. « Rah, t'avais la télécommande finalement. On aurait pu sortir avant ! »

Sa derrière phrase eu pour effet de lui foutre un coup de masse sur la tête et il resta planté là, alors que sa sœur vérifiait dans la cuisine si il n'y avait personne. Un silence s'interposa entre eux deux, durant de longues secondes. Il avait envie de frapper tout ce qui était dans cette pièce, lui compris et de disparaître, le plus loin possible d'elle.

« S'il-te-plaît, ne pense pas que c'est de ta faute, et je t'interdis d'avoir une nuit blanche » Dit-elle soudainement, sans regarder en face son frère. Il réalisa alors que cet incident l'avait également affectée et qu'elle ne pourrait plus le regarder sans que l'image de leur baiser ne lui revienne en tête. Lui de même. Il ne pouvait pas la regarder et se contenta d'ébouriffer ses cheveux.

« Laisse tomber va. Il est tard. » Répondit-il en sortant de la cuisine, alors qu'elle fermait la porte. Ils remontèrent les escaliers puis se séparèrent sans un bonsoir à la vue de leur chambres. Kain se recoucha et observa le plafond, sombre. Et même avec la volonté du monde entier il ne pu fermer un œil durant toute la nuit.