Il faisait chaud et lourd, des températures dignes de la fin de l’été. Le soleil se couchant sur les vieux bâtiments en ruines donnait au paysage un air encore plus lugubre. Et pourtant, la jolie blonde qui parcouraient les pavés rongés par la mousse n’avait pas peur des fantômes dont les rumeurs et légendes affublaient l’ancien pensionnat. Les seuls spectres du passé qui régnaient en ce lieu n’étaient autre que ses propres souvenirs, bien qu’ils avaient tendance à devenir de plus en plus brumeux. Il faut dire que de nombreuses années s’étaient écoulées depuis la fermeture de ce qu’elle avait considéré autrefois comme son foyer. Une époque bien sombre où elle avait dû apprendre à vivre une nouvelle vie, sans ses amis, sans aucun repère, sans même l’idée de comment continuer à survivre dans ce monde qui lui paraissait ne plus être le sien. Et pourtant elle avait réussi, elle était devenue une jeune femme respectable, le genre de femme dont on ne sait rien des épreuves qu’elle a enduré mais dont on voit la force qu’elle a su en tirer. Et pourtant, malgré tous les accomplissements qu’elle pouvait épingler, la nostalgie refaisait surface régulièrement, comme une mauvaise habitude dont on peine à se débarrasser.

Alors elle avait décidé de franchir le pas, de se laisser retomber entièrement dans ce passé qu’elle n’arrivait pas à oublier, bien qu’étrangement, ses souvenirs lui paraissaient si fragiles qu’ils pourraient être faux. Mais en ouvrant la grande porte du bâtiment principal, elle comprit à l’instant où le soleil doré se déversa sur le sol sale et abîmé qu’elle ne pourrait jamais oublier Aomori. De toute évidence, elle n’était pas la première à braver le panneau « interdiction d’entrée » du portail, à en juger par les quelques tags qui décoraient les murs et les cadavres de bouteilles d’alcool jonchant le carrelage. Il faut dire qu’elle-même avait beaucoup changé depuis la dernière fois où elle avait couru dans ses escaliers, essayant désespérément de trouver le directeur pour le supplier de ne pas fermer l’établissement. Maintenant, elle n’arborait plus les deux couettes qui la caractérisaient tant à l’époque, laissant sa chevelure blonde tomber jusqu’au creux de ses reins. Son caractère avait lui aussi bien évolué, fort heureusement. Si elle était toujours active et incapable de tenir en place, elle ne se battait plus pour un oui ou pour un non. À son âge, cela n’était plus possible de toute façon mais elle avait tout de même conservé un caractère bien trempé. Une chose qui n’avait pas changé en revanche, était son regard d’une tristesse à faire pleurer une tombe. Aujourd’hui plus que jamais, alors qu’ils se posaient sur les salles de cours abandonnées, qu’ils regardaient ce réfectoire autrefois si animé et qu’ils se perdaient dans la contemplation d’une autre vie.

Manami s’assit sur une chaise qui ne tenait debout que par miracle, ne prenant même pas la peine d’enlever la poussière pour éviter de salir sa jupe. Et elle fixa ce tableau avec tant d’intensité, sur la couleur ambré du soleil couchant s’effaça doucement, pour déployer une multitude de nuances plus vives ressemblant à celles de l’époque où la vie, les rires et les pleures résonnaient encore entre ces murs. À quoi aurait ressemblé sa vie si elle avait pu rester dans l’enceinte de cette école si particulière ? Qu’étaient devenues toutes ces personnes possédant comme elle des aptitudes hors du commun ? Que s’était-il vraiment passé ce jour-là ? Alors qu’elle se perdait dans ses pensées, l’atmosphère changeait autour d’elle, laissant les souvenirs et rêveries se mélanger dans un délicieux ballet de nostalgie.