Le silence est plus tapageur que tout.

DE: Hatsuyo Ema | POUR: Tensei Shigeru 11/11/2011 • 16:12:44 new message Mais c'est parce que j'y comprends rien aux jeux de cartes DD8 Et à chaque fois je perds et ça m'ennuie ! D8 Même Uno, je comprends pas ! Bah oui c'est mignon un coeur ! ô/ sinon, ouais, ouais, j'arrive, laisse moi le temps d'enfiler un débardeur au moins ! Sauf si tu préfères que je vienne en soutif ~ ♥ Oh, t'inquiète pas, c'est le bordel aussi dans ma chambre, je suis habituée. Au pire, je rangerai un peu les affaires de Mowgli ~ ♥

Ema appuya sur la touche. Envoyé. D’ici quelques minutes, elle aurait l’accusé de réception. Enfin… Minutes. Secondes, plutôt. Elle regarda ses ongles où s’étalait une couleur rosée. Rah. Elle les retoucherait plus tard. De toute manière, elle n’avait que ça à faire de sa vie. En plus, elle n’avait pas de copain. Du coup, pas de problème avec le physique. Niveau séduction, Ema atteignait le palier… Zéro. Ouais. Pas d’amant, pas de copain, pas de prétendant. Et elle allait bien ! Pas question de s’inquiéter. Les seuls garçons qu’elle avait dans sa vie, c’était ses amis. Les Pingouins et les autres. Quatre Supers Pingouins. Tiens… Comme les Pingouins de Madagascar. Elle n’y avait jamais pensé d’ailleurs. Et elle pouvait les répertorier en plus… Oh ! Génial ! Alors, pour Private. Il en fallait un de jeune, avec une bonne bouille de mascotte. Otonashi, obligé. C’était le plus jeune, en prime. Ensuite, il y avait… Comment il s’appelait, déjà ? Avec son air de chef suprême et tout le blabla… ? Skipper ! Magnifique. Kain, sûre et certaine. Et après… Rico. Hyuga. Même pas besoin de temps de réflexion, c’était sans retour. Hyuga, c’était le fonceur. Il ne restait plus que Kowalski, le cerveau. Bon, Shigeru, après le rôle de Bagheera la panthère noire, tu seras Kowalski, le pingouin hyper intelligent qui a peur des dentistes. Même si, entre nous, les pingouins n’ont pas de dents. Et Ema serait Julian ! Le roi des lémuriens. Magnifique. Sublime. Ravissant.

Mais toutes ces réflexions sur les pingouins ne la mettaient pas en avance. Et Shigeru devait certainement s’impatienter comme un malade dans sa chambre. Et ils allaient s’engueuler, encore une fois. Et Ema finirait seule dans sa chambre. Ah non, pas question. Pour une fois, elle voulait voir du monde, s’éclater, rigoler. Elle était même prête à perdre à aux cartes ! Oui, oui. Non, quand même pas en fait. Ema attrapa le premier débardeur noir dans sa penderie ainsi qu’une chemise rouge à carreaux jaunes, bordeaux et autres. Elle adorait cette chemise. Beaucoup. Elle jeta le t-shirt qu’elle avait au dos dans un coin de la pièce et enfila son débardeur. Mmh… Un regard dans le miroir. Pardon ? Bordel, elle avait vraiment une sale gueule. Tant pis ! Shigeru attendra encore un peu !

Remaquillée, Ema se sentait nettement mieux. Au moins, elle ne ressemblerait pas à un sac. Elle remit ses cheveux en place tout en sachant que dans une dizaine de minutes, ils seront à nouveau défaits. Non, pas pour ce que vous pensez. Vilains.

Elle enfila ses ballerines rouges et sortit de sa chambre. Enfin dehors ! Ah, ah ! C’est Shigeru qui allait être content ! Elle jeta un regard sur son portable. Aucun nouveau message. Ah ! Il n’avait pas l’intention de répondre, cette charogne ! Et bah elle n’avancerait pas vite dans le couloir. Une jeune fille devait l’avoir compris qu’elle s’approcha d’Ema.

« On a beaucoup de boulot, pour demain ? »

Ema n’en avait aucune idée.

« Mathématique, peut-être. Et après, je sais plus. »

Voilà. La jeune fille était partie en direction des escaliers, abandonnant Ema dans le couloir. De toute façon, elle avait besoin de parler à un garçon, et non à des filles. Elle se remit en route vers la chambre de Shigeru. Au fond du couloir, évidemment. Elle longea les murs, regardant tantôt à droite, tantôt à gauche. Il n’y avait pas beaucoup de filles, dans le coin. Elle arriva vite à la dite chambre. Frapper ? Cogner ? Gueuler ? Entrer. Elle ouvrit la porte à la volée, gueulant le nom de son ami. Magnifique tableau.

« Ema, merde ! »

Ema ne réprima pas un sourire. Moqueuse ? Peut-être. Heureuse ? Sans aucun doute. Ils s’étaient salement accrochés au matin. Rien de plus que d’habitude, mais salement quand même. Elle le regardait et, sans lui demander son avis, s’avança dans la pièce en claquant la porte derrière elle.

« Quoi ? T’as rien à me cacher, à ce que je sache. ♥ »

Sans gêne. Oui, elle était sans gêne. Elle s’étala sur le premier lit qui se présentait à elle, qu’importe à qui il appartenait. Soit à Mowgli, soit à Otomne. Certainement pas à Shigeru, elle le savait. Elle grogna et regarda la pièce.

« Bah, où tu vois du bordel, toi ? Ca me semble assez rangé ici. »

Elle enfonça sa tête dans l’oreiller. Tant pis pour son possesseur. De toute manière, ils étaient tous amis dans cette chambre, elle n’avait pas à s’en faire. Et puis… Elle savait si bien se faire pardonner. En parlant de pardon…

Ema se releva et s’assit sur le lit, observant Shigeru avec insistance. Oui, elle avait quelque chose en tête. Quelque chose qu’elle ne garda pas longtemps pour elle.

« Shigeru, fais moi un câlin. »

Même pas une demande, un ordre. Mais elle savait que s’il voulait le décliner, il le déclinerait. Elle sourit.

Santa baby ~

Un blanc. Un gros et énorme blanc de plusieurs secondes. Ema, tanguant entre la position assise et la position couchée, regardait son amie, un sourire naissant sur ses lèvres rosées. Elle ne lui avait pas demandé de jongler et encore moins d’avaler la mer. Elle lui avait demandé, ou plutôt ordonné, quelque chose qui était parfaitement abordable à partir du moment où l’on avait deux bras et un cœur. Elle voulait un câlin.

« Uh, quoi ? »

La mine déconfite de Shigeru la faisait rire intérieurement. Pourtant, elle était sérieuse. Et puis, ce n’était même pas comme si c’était la première fois qu’elle le regardait sérieusement pour lui demander de la prendre dans ses bras. Et il le faisait à chaque fois, une mine boudeuse sur le visage. Comme s’il le faisait à contre cœur. Mais c’était faux. Entièrement faux. Parce qu’il le faisait à chaque fois. Et qu’il répondait toujours présent.

« T’es folle, tu le sais, ça, hein ? Et complètement idiote. »

Un sourire imperceptible naquit sur ses lèvres. Difficile de rester sérieux quand on est déjà d’accord et résigner à prendre une amie dans ses bras. Ema rejeta une poignée de boucles blondes derrière son épaule.

« Je suis folle de toi. Et c’est bien connu, l’amour rend idiot. »

Non, ce n’était pas une déclaration. Elle avait juste dit ça pour ennuyer Shigeru. Comme elle le faisait habituellement. Le bruit de ses pas traînant sur le sol comme ceux d’un prisonnier conduit à la potence lui arracha un rire. Elle observa son ami quand il s’assit à ses côtés. Enfin… Quand il se laissa choir à côté d’elle. Ema nicha son visage dans le cou de son ami en nouant ses bras derrière son cou. Un coup l’atteint dans les côtes au moment au Shigeru effleurait sa hanche. Pour la peine, Ema, trop bien calée dans le cou de son ami, le mordit, pour le punir de cet affront. Juste pour ça. Non, Ema n’avait pas des tendances cannibales. Enfin, si. Mais sur elle et ses doigts, seulement. Après, elle ne mordait les gens que quand elle se battait. Et comme elle se battait rarement. Elle se battait parfois avec Akane, mais c’était plus des disputes de colocataires, un truc pour s’amuser. Elles se battaient quand Ema décidait qu’Akane devait se montrer plus féminine. Oui, Ema devrait aussi. Traîner dans les magasins pour garçons quand on est une jeune fille, ça le fait pas. Shigeru s’appuya sur elle, comme pour l’embêter. Et elle fut donc obligée de se pencher légèrement en arrière. De quoi avaient-ils l’air, là, tous les deux, l’un à moitié affalé sur l’autre ? A un couple ? A… Un truc flasque et bizarre ? A une œuvre d’art ? Difficile à décrire. Facile à imaginer.

« V’là, blondasse. Contente ? »

Le souffle de Shigeru lui chatouilla la peau. Ema était horriblement chatouilleuse. Aussi se livrait-elle à des batailles sans pitié contre Hyuga, dans la guerre des Chatouilles. Elle gagnait toujours. Elle finissait souvent trempée par la salive d’Hyuga, mais elle gagnait. Et elle lui bavait dessus, parfois.

« Heureuse, même. »

Ema ferma les yeux et se laissa bercer par les battements du cœur de Bagheera. Bagheera, ça ne lui allait pas si mal que ça, finalement. Cette panthère râlait en permanence sur Baloo – Et comme Ema, c’est Baloo – mais au fond, elle l’adore, son gros nounours.

« Tiens, t’as enlevé le chandail merdeux que t’avais au matin ? »

Il recommençait avec cette histoire. Ema se crispa mais abandonna rapidement. Il n’y avait pas de raison de s’énerver. Elle soupira.

« Ouais, j’avais trop chaud. »

Elle roula des yeux et se serra un peu plus fort contre son ami.

« T’as raison, il est pas terrible ce pull. J’vais le mettre pour dormir. »

Elle bailla et se dégagea pour regarder son ami dans les yeux. Enfin… Elle regardait surtout ses cheveux.

« Dis… Je suis désolée d’avoir pété un câble ce matin. »

Son orgueil allait la tirailler pendant longtemps.

Hello
I opened the window and said quietly
How are you ?
In the room that has no one but only me

Ema, coincée sous son ami dans une position digne du Twister le plus endiablé, observa Shigeru du mieux qu’elle le pouvait étant donné que la position dans laquelle ils se tenaient tous les deux entremêlés depuis plusieurs minutes déjà était… Indéfinissable. Elle sentit le bras de Shigeru sous elle gigoter et le poids que son ami exerçait sur elle en lui écrasant le corps se releva légèrement. Oui, sauf que bon, c’était assez complex niveau mouvement. Du coup, compte tenu des faits, il s’écrasa de nouveau. Sur elle. Elle gronda de douleur. Le charognard. Elle était presque sûre qu’il l’avait fait exprès ! Et ce bras sous elle, c’était franchement désagréable. Quelle horreur ! Cette position était tout bonnement atroce et ses pauvres petites omoplates commençaient, elles aussi, à souffrir de mille maux. Après, qu’on ne vienne pas dire qu’Ema ne fait pas de sport en dehors des deux heures d’éducation physique qu’elle avait en semaine. Parce que faire un câlin à Shigeru, sérieusement, c’est plutôt pas mal, niveau physique. C’était encore mieux que de forcer jouer avec Dao à Just Dance. Après quelques remuements d’asticots, deux ou trois mouvements de chenille et une bataille de lion, Shigeru finit par se dégager et roula sur le côté, certainement trop heureux de ne plus faire une partie de « pelote de laine » avec Ema. Mais son bras restait désagréablement coincé sous elle. Et Ema, blonde comme elle l’était, n’eut pas l’idée de bouger pour le dégager.

Elle observa longuement le sommier du lit au-dessus d’eux. C’était le lit de qui, celui-là ? Elle n’en savait rien. Ou du moins, elle ne savait plus. Elle s’en fichait pas mal, d’ailleurs. Il pouvait très bien appartenir à Otonashi ou à Dao, ça n’aurait rien changé à l’affaire. C’était un lit. Et il était au-dessus d’elle.

Ema cligna des yeux quand Shigeru parla. Qu’est-ce qu’il avait dit ? Qu’elle devrait plutôt s’excuser auprès de la personne à qui appartenait le câble ? Mais… De quel câble parlait-il ? Ca n’avait aucun sens. Le câble dont elle avait parlé plus tôt, il était immatériel. Il n’existait que dans sa tête. Un peu comme une ficelle délimitant un champ. Bah, cette ficelle avait cassé et les vaches de la prairie s’étaiet enfuies hors de leur doux pâturage. Comme les sentiments d’Ema. Le câble avait lâché. Cassé en deux. Basta. Et on n’en parle plus. Elle bailla comme un lion d’Afrique.

« Nan mais… Je ne saurais pas m’excuser auprès de moi-même. »

Elle se voyait déjà debout devant son miroir, au soir, parlant à son reflet comme une débile pour s’excuser. Franchement.

« Surtout que le câble, il est plus mental que matériel… »

Et elle cligna de nouveau des yeux, étendue sur le lit de Raimu avec Shigeru.

« Tu connais pas l’expression ‘péter un câble’ ? Je sais pas t’expliquer ça maintenant, mais bon. »

Le coup l’atteint au niveau des omoplates, quoiqu’un peu plus bas, quand même. Elle grogna une nouvelle fois avant de chercher à tâtons la cuisse de son ami pour y asséner un coup de poing. Non mais. Elle roula sur le côté, calmement, tranquillou, et…

… S’écrasa lamentablement, tel un vil yahourt femelle, sur le sol. Mais pourquoi fallait-il que les lits ne soient pas suffisamment larges pour accueillir les mouvements trop brusques ? Elle garda les yeux fermés un petit moment. Sa tête lui faisait mal. Décidément, il faudrait qu’elle pense à faire plus attention à sa pauvre petite tête. Sinon, elle ne serait plus en mesure de penser avec sa tête. Autant penser avec ses pieds tout de suite, alors. Pauvre fille. Quand elle osa rouvrir les yeux, elle tomba nez à nez avec… Un slip. Oh. Mon. Dieu. Elle resta abasourdie devant le désordre régnant sous le lit. Et elle roula de nouveau sur elle-même tout en criant un ‘wazaaa !’ purement et parfaitement féminin. Elle se redressa bien vite et regarda Shigeru, souriante, les cheveux en bataille et couverts de peluche.

« Sinon... j'sais pas, tu voulais faire quelque chose, au lieu de rester comme ça sur un lit ? »

Elle sourit et repoussa une mèche de cheveux en soufflant dessus. La mèche retomba presque aussitôt et Ema dut la dégager avec l’aide de sa main. Quelle saloperie. Elle cligna des yeux.

« Je ne sais pas. »

Elle remonta sur le lit, à quatre pattes, et s’arrêta en face de Shigeru.

« Mais on peut parler de pleiiiiiiins de choses. »

Mais oui.

« Alors. La vie, les amours ? »

Moi je joue
Moi je joue à joue contre joue
Moi je joue à ça avec vous
Mais vous, le voulez-vous ?

En partant du principe selon lequel « tout le monde est amoureux de quelqu’un » et en y ajoutant des éléments comme l’âge, le changement mental et le développement mental, Ema arrivait facilement à la conclusion que… Rien du tout. Non seulement elle ne comprenait rien à ce schéma amoureux rempli de mathématiques mais en plus, elle savait que même à seize ans, on n’est pas forcément amoureux. Et tout ça par expérience personnelle. Au début, il y avait ce fameux complexe d’Œdipe avec les filles amoureuses de papa et les garçons qui veulent se marier avec leurs mamans. Le truc trop spécial. Il était clairement limpide – pléonasme, nous revoilà – qu’Ema avait toujours préféré Sakuraï, en bon père de famille aimant qu’il avait été. Et il était encore plus clair qu’à l’âge de six ans, elle avait eu des envies de meurtre à l’attention toute particulière de sa mère. Et ces envies continuaient encore actuellement. De grosses bouffées de colère, à chaque enveloppe. Reparlons d’amour. En fin maternelle et début primaire, il y avait bien eu les quelques amoureux, les garçons qu’on préfère, ceux qui font partie de tous nos sujets de conversation, les « Akira est trop beaaaaau ! » en lettres roses d’une écriture maladroite avec des cœurs tout autour dans les pages d’un journal intime aux feuilles, pour la plupart, cornées. Les garçons avec qui ont échange des cailloux trop jolis – il parait que l’on faisait ça -, les garçons qui se battent pour nous – il partait aussi qu’ils font ça – et qui donnent la main jusqu’à la grille parce que bon, à cette époque lointaine, c’est papa qui allait nous chercher à l’école.

L’amour dure trois ans.

Après cette vague d’invasions d’Akira, de Benji, de Chiko et autres Dominos, plus rien. Jusqu’à maintenant. Dit de cette manière, on aurait pu croire qu’elle avait quelqu’un. Mais non ! Que dalle ! Le compteur, après avoir fait une chute libre et vertigineuse, avait atteint le zéro. Le sous-zéro. C’était pire que zéro ! Elle devait en être à moins mille. Six pieds sous terre, carrément. A ce train-là, elle était bonne pour finir célibataire toute sa vie. Célibataire, pas d’enfant. Peut-être un chien. Et des chats. Des poissons, un hamster. Des animaux. La vie de palace d’Ema et… Ema. Seule. Sur le sable.

Elle regarda Shigeru et l’écouta parler. Tout rouge. Il était tout rouge. Comme un petit poisson. Et il remuait frénétiquement dans tous les sens. Comme un poisson hors de l’eau. Décidément, il faisait trop bien le poisson, lui. De plus, elle pouvait même ajouter qu’il ne la regardait pas dans les yeux – chose rare ! Calendrier ! – et qu’il se focalisait sur un fil sortant de nul part. Du lit de Raimu, plutôt. Elle cligna des yeux. Fack ! Chez lui non plus, il n’y avait rien. Elle fronça les sourcils.

« Oh… T’es sûr ? Parce que bon, je suis peut-être pas experte en psychologie, mais tu gigotes beaucoup plus que d’habitude. »

Les séries télévisées, ça peut aider, parfois. Toutes ces émissions comme Lie to me, Bones, Esprits Criminels et le reste des Experts. Oui, elle adorait ça. Enfin, elle butait toujours devant NCIS parce qu’au fond, c’était toujours la même chose et qu’à la longue, ça devait moins marrant. Au tout début, elle voulait faire ça comme métier. Et après, ç’avait changé.

« Mais non que c’est pas des trucs de filles ! Vous en parlez pas entre mecs ? Enfin… Remarque que j’en parle pas non plus avec les filles, c’est trop déprimant après. »

Ne cherchons même pas à comprendre. Si elle n’en parlait pas avec les autres, pourquoi avec Shigeru ? Parce qu’elle était sûre qu’il n’avait rien à lui dire ? A part lui annoncer un nouveau célibat, elle n’attendait rien de lui. C’était juste pour parler et éviter cette histoire de câbles cassés mentalement qui était trop compliquée à expliquer. De toute manière, il n’avait pas envie de parler, ça se voyait à l’œil nu.

Donc, elle se leva, résignée. Ema tendit les bras au ciel – au plafond, dans son cas – et se bougea jusqu’au lit de son ami. Il n’apprécierait certainement pas et ferait encore un caca nerveux de maniaque. Elle ne pouvait pas chipoter. Mais… Elle avait envie. C’était soit ça, soit les tresses, soit un autre câlin super long. Alors, elle chipoterait. Ema s’assit sur le lit bien fait de son charmant ami roux et ouvrit le tiroir de la table de nuit, profitant du fait qu’il cherche ce foutu jeu de cartes. Elle regarda à l’intérieur. Des consoles de jeu, des boules quies, des câbles et des piles. Et des straps de toutes les formes. Des chiens, des canards, des poissons rouges, des Hybrides et un oursin. Elle souleva ce dernier et le tint devant ses deux yeux.

« C’est mignon ça. Je crois que Kain a le même à son portable ou son plumier, je sais plus. C’est exactement la même couleur que le sien. Vous l’avez acheté où ? »

Elle reposa le petit oursin dans le tiroir et trouva une photo en remuant la psp et la DS. Une fille ? Délicatement, elle sortit l’image du tiroir et l’observa un moment.

« Elle est belle. »

Ema montra la photo à Shigeru, un sourire plus gamin que moqueur sur les lèvres.

« C’est elle, ton amoureuse ? ♥ »

Ca l’étonnerait. Comment une fille aussi belle qu’elle pouvait sortir avec Shigeru ? Certes, il était trop gnon. Et gentil. Et intelligent. Et à l’écoute. Et avec un caractère de chien mouillé. Mais… Elle serait jalouse si c’était le cas.

Ensuite, il ne s'est plus rien passé.

Le matelas ondula sous le poids de son ami. Mais Ema n’y prêta pas attention, préférant de loin détailler le visage offert par la photographie. Oui, elle, elle méritait la dénomination de « belle ». Parce qu’elle, elle était belle. Ravissante, même. Enivrante, peut-être, dans une autre mesure. Elle devait certainement avec une chance folle et une cote ultra haute dans la gente masculine. Lutin, le rêve quoi. Pour Ema, il y avait plusieurs catégories dans la beauté féminine. Au fond, il y avait les Passables. Toutes ces demoiselles tout le monde, anonymes, dont la beauté invisible est très vite oubliée. Les personnes que l’on ne remarque qu’une fois sur deux. Ensuite, il y avait les Mignonnes. Catégorie dans laquelle la Métamorphe était la plupart du temps classée. Être mignonne, souvent, c’est génial ! Au moins, on est reconnue. Ouais, sauf que bon, ça l’ennuyait quand même pas mal, de n’être qu’une mignonne petite chose pour les autres personnes. En étant mignonne, elle voulait être bien plus que cela. Des rêves chimériques de gamine. Bien sûr. Elle s’en fichait pas mal, de toute manière. Elle était tout aussi belle que les autres, tout aussi voluptueuse que les autres, tout aussi sensuelle que les autres, tout aussi charmante à envier que les autres.
Faux.
Ca la faisait infiniment chier de n’être que mignonne. Mais avait-elle vraiment le choix ? Le classement ne venait pas d’elle mais des remarques des autres sur son physique. En même temps, si pour être belle aux yeux des autres, il fallait alors porter des jupes, des robes et autres talons stupides, autant rester à sa place, dans ses jeans et ses pulls de garçons, bien au chaud dans la troisième catégorie, juste en dessous des Jolies. Les Jolies, c’était un peu les Dauphines d’un concours de beauté, les filles juste à côté de la gagnante, celles qui se forcent à sourire alors que la défaite les écœure. Ca les énerve, de n’être que deuxième. Mais elles n’ont pas vraiment à se plaindre. Elles forment une élite à elles seules, plus accessibles que les Belles dans le côté sentimental. Les Belles, elles avaient tout pour elles. Amour, gloire et beauté. Un cercle inaccessible dont les occupantes s’entretuaient. Vu comme ça, elles n’avaient rien à envier. Mais, bordel ! Elles étaient superbes. Inaccessibles, mais sublimes. Salopes. Sauf exception. La photo quitta ses mains sans qu’elle ne parvienne à la rattraper. Et déjà, Shigeru l’observait.

« C’est Azil, connasse. J’vais pas sortir avec elle, ce serait juste… comme… »

Connasse ? Pourquoi ce ‘connasse’ ? Elle n’avait absolument rien fait à part émettre l’hypothèse qu’il sortait avec une fille de première classe. Il devrait s’en sentir flatter ! Non, mais. Et puis, Azil, elle connaissait pas. Il devait déjà lui en avoir parlé, mais vaguement, alors.

« Comme ? »
« … Comme sortir avec ma sœur. Juste. Non. »

Et le tout en insistant bien sur le non.
Ecrasée à moitié pour la seconde fois depuis qu’elle était dans cette chambre, Ema ne tenta pas désespérément de rattraper la photo avant que celle-ci ne disparaisse dans les ténèbres d’une table de chevet masculine. Elle soupira en l’écoutant discourir sur son célibat, souriante au passage « tu l’aurais su, hein. »

« Tu veux dire que tu me l’aurais dit, si tu étais en couple ? »

Juste histoire de vérifier. Et de faire durer ce plaisir voluptueux des confidences hasardeuses. Elle repoussa lentement une mèche blonde derrière son oreille et grogna quand elle retomba. Un nouveau discours. Questions idiotes. Ses questions n’avaient rien d’idiotes. C’était lui qui était idiot de ne pas profiter de son calme olympien passager. Il cherchait absolument à la faire bouger. Et si elle bougeait, il subirait sa colère au travers d’un nouveau câlin. Dans son cul. Ne pas fouiller dans ses affaires. Comme s’il ne fouillait pas les siennes, quand il venait ! Non. Il ne fouillait pas dans les siennes. Mais on revenait toujours au même point : en fouillant, elle était calme. En regardant la photo, elle restait muette, détaillant, minutes après minutes, le visage d’Azil. Et non, ça ne faisait pas une vingtaine de fois. Ca faisait une centaine. Qu’il apprenne à compter. La buter. Comme si ! A chaque fois, c’était elle qui le mettait chaos quand elle débarquait dans la chambre, Dao en était témoin ! Et puis, frapper une fille, c’est mal. Ema bailla.

« Mais pourquoi t’es si méchant ? J’fous quand même pas du bordel partout où je passe ! Je suis quand même plus ordonnée que Dao ! Alors bon, c’est pas comme si j’étais une tornade. »

Nouveau repoussement de mèche. Ema laissa tomber mollement sa tête sur l’épaule de son ami.

« Y a vraiment des jours où je m’énerve moi-même. Et d’autres où j’en ai marre d’être moi. »

Dépression ? Nous y voilà !

Mahna Mahna
Tu Tu Dulululu ♪

C’est vrai ça Ema. Regarde-toi. Qu’est-ce que tu es, toi, maintenant ? Une pauvre fille, orpheline, qui passe ses journées à ne voir la vie qu’en rose. Mais le gris, il serait peut-être temps que tu le voies, non ? Il serait temps que tu grandisses et que tu voies que la vie, la vraie vie, c’est autre chose. Mais ta vie, Ema, elle en est où ? Tu as touché le fond mais tu creuses encore. Continues de t’arracher les ongles sur la terre, tu trouveras du pétrole. Observe-toi ! Tu as tout raté. Ta mère ne te parle plus sans qu’il n’y ait une raison valable. Ton frère, ta tendre demie, ne t’a plus adressé la parole depuis près de dix ans. Tu devrais le haïr, tu ne crois pas ? Lui qui a tellement fait couler tes larmes. A part lui, aucun garçon ne t’a fait autant geindre. Oui, Ema. Tu devrais le détester ce cher Aloïs. Mais tu continues à l’aimer. Pauvre idiote. Regarde la vérité en face, tu as complètement été exilée ici. Jusque là, ta vie insouciante de pauvre gamine ne tenait déjà plus qu’à un fil. Ensuite, ton père est mort lui aussi. Plus de mère, plus de père. Te voilà orpheline, mon chat. Avec tes tantes, tu as cru retoucher le bonheur. Sauf qu’au moment où tu t’en saisissais, il t’a sauté des doigts pour tuer ta tante Heidi. Tu en as rêvé, de sa mort. Tellement souvent qu’un jour, ton bras n’était plus qu’une patte animale. C’est là que tu as découvert que tu n’étais pas qu’une fille. Tu étais bestiale, aussi. Et tu as eu peur. Tu savais que ton père faisait ça, aussi, qu’il se transformait en objet. Mais tu as eu peur tout de même. Au fond, si tu es comme ça, aussi gamine, c’est peut-être parce que tu veux vivre ce que tu n’as pas encore eu le temps de vivre. Mais tu touches le fond, Ema. Tu te noies. Ta vie n’a jamais été autre chose qu’un enchaînement de divagations. Et ces chimères ont réussi : tu n’es plus rien. Une coquille sans intérieur. Un creux. Tu n’as jamais rien su faire de bon.

Et pourtant, le bras de Shigeru sur sa peau lui disait autre chose. Au fond, sa vie n’avait peut-être pas été qu’un échec cuisant. Elle avait réussi quelques petites choses. Elle s’était fait des amis. Des gens qui étaient là pour elle, qui la supportaient. Des gens qu’elle faisait sourire, qui la faisaient rire. Et c’était l’essentiel, non ? C’était important de savoir que, quoique l’on puisse penser, on n’était pas seul. Ema se laissa tomber sur l’épaule de son ami. Oui, bien sûr qu’il était son ami. Malgré son caractère de cochon, sa manie de tout prendre au premier degré, son sens du ménage digne de Monsieur Propre et ses mathématiques savantes qui lui faisaient tourner la tête dès qu’il essayait, en vain, de lui expliquer un exercice quelconque. Et elle, malgré le fait qu’elle s’engueule toujours trop fort avec lui, qu’elle soit une véritable merde en mathématique, qu’elle soit bordéliquement organisée, qu’elle criait toujours trop fort et qu’elle passait son temps à moitié allongée sur lui, elle l’aimait. Comme on peut aime un bon ami.

« Je suppose que ça arrive à tout le monde… »

Peut-être. Oui, peut-être que ça arrivait à tout le monde. Que ce n’était jamais qu’une grosse crise passagère et que ça allait passer comme c’était venu. En, cinq minutes, après une énième engueulade. Que bientôt, elle allait sourire. Qu’elle allait reprendre ses fouilles archéologiques dans les affaires trop bien rangées de Shigeru – ouais parce qu’elle était sûre qu’il cachait un truc énorme ; en dessous de son matelas, peut-être. Oui, ça allait passer. Comme le temps.

« J’veux dire… »

Elle aurait préféré qu’il ne dise rien du tout. Elle aurait juste voulu entendre son cœur contre son oreille. Et le silence, en plein tapage tout autour d’eux. Oui, vraiment, juste le savoir à côté d’elle. Juste savoir qu’il était là.

« Pourquoi tu dis ça, tout d’un coup, hein ? »

Comme si elle savait elle-même.

« Merci. »

Parce que tu t’es remué le cerveau pour moi. Parce que tu m’as pris dans tes bras alors que je n’avais rien demandé. Parce que tu es là. Parce que je t’aime, même si tu es sociopathiquement roux. Ema gardait les yeux obstinément fixés vers le fond de la chambre. Et le regarde en coin qu’elle posa sur Shigeru ne lui apprit rien de bon. D’ailleurs, il la fit bouger. Si elle résista un moment, elle fut contrainte à lâcher prise.

Et là, c’est un déluge de mèches blondes.

Ema grogna, remua, tenta avec tant de bien que de mal de se libérer de l’emprise machiavélique de son ami. Elle souffla, gronda, étouffa des cris. Et bondit en avant, s’arrachant aux viles mains de ce roux mentalement atteint.

« Oh la canaille ! Oh la canaille ! »
« Allez, on va pas passer la soirée à se faire chier, eh. Et puis, j'sais pas quand les autres vont revenir, donc faut en profiter maintenant pour faire de quoi pendant qu'y a personne. »

Hé.
Hé hé hé hé.
Ema repoussa une mèche blonde mal mise et s’approcha de son ami, à pas de panthère. Avec volupté. Faire de quoi pendant qu’il n’y a personne. Avec un sourire de pouffiasse sur les lèvres, elle se pencha suffisamment près de son ami pour toucher son nez avec le sien.

« Et pourquoi tiens-tu tant à ce que l’on soit seul tous les deux, hein ? »

Ema n’est absolument pas faite pour aguicher aucun garçon que ce soit.
Mais alors là, vraiment pas.

Que deviennent les rêves qui se brisent ?

Oh non, Shigeru. Pourquoi tu détournes la tête comme ça ? Ce n’est même pas marrant. Non, allez, fais ton gros dur avec moi. Affronte mon regard, dis-moi que tu n’en as rien à foutre de ma proximité, rien à foutre de ce putain de décolleté que tu n’as même pas remarqué quand je suis entrée. Allez, fais-moi ce plaisir. Engueule-moi, merde. Oublions cette foutue phase de dépression, faisons revenir l’anticyclone. N’es-tu pas d’accord avec moi ? Tu ne veux pas ? Tu préfères quand je pleure ? Quand je niche ma tête au creux de ton cou et que je te raconte que je suis juste qu’une conne égoïste et stupide ? Tu préfères me voir chialer, c’est ça ? Tu voudrais que je te dise que ma vie n’est qu’une ruine, qu’elle est fichue et que je ne sème que le malheur ? Tu voudrais que je te dise qu’il me manque, qu’elle n’est qu’une sale gourgandine égocentriques et que mes nerfs lâchent quand mes yeux s’embrument ? Allez, rigole. Prends-toi au jeu. Moi, je joue. Moi, je joue à joue contre vous. Allez, chante avec moi, Shigeru. Arrête ça, on dirait un poisson rouge. Je sais que c’est bizarre, vu comme ça mais je t’assure que si quelqu’un entre, il n’ verra que du feu. On est tellement proche, toi et moi, tous les deux. En quoi ça te dérange ? Je ne veux pas qu’on couche ensemble. Si on le fait, je ne te verrai plus du même œil. Et ça me fait peur, tu sais. Pas toi ? Non, je veux juste que tu m’affrontes. Pour que je gagne. Et que tu perdes. Ou l’inverse, c’est comme tu veux. Je laisserai mon égocentrisme de côté. Rien que pour toi, Shigeru. Te rends-tu compte de l’effort ? Je déteste ça, laisser mon ego. Mais pour toi, je le ferai. Alors ?

« Non mais, fuck, Ema, qu’est-ce que tu fous ?! C’est pas drôle ! »

Ema intercepta son regard. Un truc bien noir, bien vilain. D’accord, elle ne rigolerait plus. Elle se recula et repoussa des mèches blondes. Elle l’observa rouler sur le côté. Alors, c’était ça. Est-ce qu’elle était si repoussante que ça ? Pourquoi est-ce qu’il s’éloignait ? Elle n’allait tout de même pas le manger. Elle n’était pas ainsi. Et le violer ne faisait pas encore partie de ses projets d’avenir. Il la fuyait comme on fuit une nymphomane lors de ses jours de chasse, comme on fuit un tigre ou quelque chose du genre. Mais Ema, aussi tornade soit-elle, se rapprochait plus de l’animal que de la fille en manque permanent de sexe. Ema était aussi inoffensive qu’un lapin. Mauvaise pioche, les lapins, ils baisent tout le temps. Aussi inoffensive qu’une biche alors. Parce qu’elle ne connait pas la sexualité des biches ni leur fréquence. Elle s’assit sur le lit, à quelques centimètres de lui, jambes serrées et mains croisées sur ses genoux. Un silence lourd s’était installé dans la chambre. Tellement lourd qu’il commençait à la faire culpabiliser. Mais oui, c’était sa faute à elle. La prochaine fois, elle garderait ses idées bizarres et ses reproductions de rongeurs en tête et elle continuerait son jeu de jeune brebis.

« Et puis, c’est pas ce que j’ai voulu dire par là, hein… »

Vu comme ça, on aurait presque cru qu’il était traumatisé à vie. Pourtant, elle était sûre de ne pas avoir frappé trop fort. Elle avait peut-être tort, au fond.

« Je sais, Shigeru. C’était particulièrement stupide de ma part. »

Au moins, elle le reconnaissait. Il parait qu’à partir du moment où on a conscience d’être un salaud, ça veut dire qu’au fond, on n’est pas si mauvais. Un truc du genre. Cet adage ne lui allait pas si mal que ça, en y repensant bien. Elle avait lu ça où, déjà ? Ah ouais ! Dans un manga, une petite série en treize volumes. Un manga cent pour cent pur fille avec des histoires d’amour et des trucs qui font chialer. Sur ce coup, elle avouait sa virilité. Les bouquins pour mecs, c’est quand même nettement plus marrant que l’histoire de cette pauvre fille trop naïve pour se rendre compte que son mec la trompe. La trompe pendant onze des volumes sur les treize. Heureusement qu’elle finit par comprendre, cette cruche. Sait-on jamais, que l’amour rendrait réellement aveugle.

Aussi, en réfléchissant à fond, Ema se rendait parfaitement compte que ce n’était pas du tout le genre de son ami de faire des sous-entendus. Et ce qui était encore moins son genre, c’était de comprendre les sous-entendus des autres. Peut-être que c’était vrai au fond. Il avait peut-être juste envie de la voir elle et pas les autres. Pas même la jolie fille aux cheveux rouges, la dénommée Azil, celle qu’il avait présentée comme étant sa sœur. Et elle, Ema, dans tout ça, elle était quoi à part la tornade, la connasse, la putain ? Il faudrait qu’elle pense à le lui demander. Mais pas maintenant. Elle l’avait suffisamment fâché comme ça.

« Ecoute, Shigeru. Je suis vraiment désolée. »

Secouant sa tignasse blonde, Ema se pencha vers la tête de Shigeru avant de déposer ses lèvres sur la peau pâle et chaude de son ami. Elle y fit claquer un long baiser plein d’amour, hésita à le tartiner de bave visqueuse et dégueulasse. Elle aurait pu. Elle en aurait été parfaitement capable. Sauf qu’à la fin, elle s’arracha à la peau de son ami ainsi qu’à son lit. Et rien que pour aller fouiller dans les tiroirs des autres locataires de cette chambre.

« Tout cas… Si tu refais ça, je te fous dehors. »

Ema avait juste envie de se foutre de sa gueule en le voyant couché de la sorte sur son lit, obnubilé par le plancher. Il avait l’air d’un neurasthénique. Un genre de poisson qui ne se souvient pas de ce qu’il voulait faire.

« Shigeru. »

Est-ce qu’elle devait vraiment lui dire ? En même temps, ce n’était pas la mer à boire. Elle le disait à Hyuga et aux autres, souvent. Pourquoi pas à lui ? Parce qu’il prenait tout au premier degré ? C’était fortement possible. Elle continuait de retourner les vêtements dans l’armoire de… Raimu, certainement.

« Je t’aime. »

Tu n’es peut-être qu’un roux stupide à la limite de l’anorexie, qui s’habille comme un emo, qui a mis plus d’un an à se souvenir de mon prénom sans le déformer et qui grogne pour un rien, tellement qu’on dirait un petit roquet. Mais je t’aime.

« Comme un pote, hein. Je précise. »

Sait-on jamais. Ema finit par brandir un jeu de cartes finement planqué. Entre le troisième et le quatrième caleçon, au fond du tiroir, côté droit. Et avec son ravissant sourire de présentatrice télé aux lèvres, elle retourna s’asseoir près de Shigeru.

« Je suppose qu’il l’a truqué pour ses tours de magie. »

Comme tu vois juste, ma belle Ema. Comme ton instinct féminin est bien aiguisé. Tu es un fin limier. Dug, mon modèle.

« Un énorme château de cartes, ça te tente ? »

Parce qu’elle, elle était clairement partante. Et qu’en plus, elle était trop forte à ce truc là.

C'est lui.
C'est le prince de mes rêves. ♪

Ema était restée là, telle une godiche, le paquet de cartes truqué dans ses mains, son sourire de naïve accroché sur les lèvres. Qu’elle avait l’air bête ! Qu’elle avait l’air stupide ! Qu’elle avait l’air conne ! Et derrière son impitoyable sourire de gamine heureuse et comblée, elle attendait la baffe mentale, le truc qui allait claquer dans sa gueule. Le non qu’il allait proférer pour la contrarier. En même temps, elle comprenait le fait qu’il lui en veuille encore un peu. Un chouilla. Même si, dans sa tête de blondasse sans cervelle, elle trouvait un peu sa réaction stupide parce qu’il devait quand même se douter qu’elle plaisantait en agissant comme une aguicheuse. Ne la connaissait-il pas assez ? Cela faisait quand même trois ans qu’ils se côtoyaient. Il savait comment elle était, non ? Alors, il ne fallait pas qu’il s’étonne qu’elle rigole de la sorte. Elle attendait qu’il la chasse de sa chambre. Elle savait d’avance qu’elle devrait, s’il la mettait à la porte, lui envoyer un sms pour lui demander pardon ou pour lui raconter sa vie. Au choix.

Ema attendait la baffe mentale. Au moment où il avait ouvert la bouche pour parler, elle avait ressenti l’envie insoutenable de fermer les yeux afin d’accuser le choc psychologie. Elle avait été jusqu’à imaginer un moyen quelconque de s’enfuir en courant, comme une lâche, vers sa chambre. Vers les douches, peut-être. Mais loin. Très loin. Parce qu’elle savait qu’elle ne serait pas assez forte pour se soumettre à une réponse négative. Pas aujourd’hui du moins. Elle aurait pu fondre en larmes comme une gamine capricieuse dans un magasin de jouets, suppliant sa mère de lui acheter une nouvelle barbie. Elle aurait pu enchaîner sur une phase de dépression durant laquelle elle lui aurait décrit la nullité de sa pauvre vie pleine de morts et d’abandons. Elle se serait montrée faible, sans défense, semblable à une biche blessée sous les fusils des chasseurs. Pitoyable. Elle se serait pitoyablement humiliée. C’était pour cette raison précise qu’elle était restée assise aux côtés de son ami, en attente d’une réponse négative qu’il allait prononcer d’un moment à l’autre. Pourquoi pas ?

La gifle n’était jamais parvenue jusqu’à ses oreilles. A vrai dire, elle ne l’attendait même plus. Sa réponse était positive. Négativement positive. Une force la plongea au sol. Quelque chose de chaud lui oppressa le poignet. Encore perturbée par un non qui ne venait pas, Ema s’était retrouvée assise sur le plancher, sans paquet de cartes dans les mains. Incrédule, elle l’avait regardé mélanger les cartes. Geste absolument inutile quand on savait ce à quoi servirait le jeu mais elle s’abstient de tout commentaire. Qui sème le vent récolte la tempête. Ema semait toujours le vent et se ramassait toujours un Shigeru en colère dans la gueule. Et parfois, ils inversaient les rôles. Shigeru devenait alors le semeur de troubles et Ema devenait la tempête. Rôle qui ne lui allait pas si mal que ça quand on regardait de plus près. Ema était une boule d’énergie, un genre d’explosion. Un feu d’artifice. Quelque qui bouge, qui remue. Cinquante-deux cartes. Qu’est-ce que tu leur veux à ses cinquante-deux petites cartes ?

« Géant, façon de parler, hein. Du moment que c’est un château de cartes, je suis heureuse. »

Il en faut peu pour être heureux.
Evidemment qu’elle n’avait strictement rien compris aux savants calculs que Shigeru venait d’énoncer. Elle, tout ce qu’elle désirait, c’était faire son château avec lui et le démolir quand il sera fini. Car la démolition est certainement la chose la plus jouissante dans l’élaboration d’un château de cartes. En fait, Ema n’avait même pas cherché à comprendre. Elle l’avait écouté. En réalité, la seule chose qu’elle avait réellement saisie était la question dans laquelle il lui demandait s’il n’y avait pas d’autres paquets, planqués entre deux caleçons. Elle secoua négativement la tête tout en attachant ses boucles blondes grâce à un élastique jaune fluorescent.

« J’ai regardé et j’ai vu que dalle. »

Les cartes percutèrent sa vue sans qu’elle ne s’en rend compte. Elle releva les yeux et dévisagea son ami. Heureuse de constater qu’il souriait, elle tendit la main dans le but d’attraper les rectangles de carton. Quoi ? Honneur aux dames ? Admettrait-il de percevoir Ema comme étant une fille ? Mettrait-il enfin les règles de la galanterie en pratique ?

« Tiens, blondasse, j’te laisse poser les premières. Fais pas tout planter, hein. »

Shigeru, tu as pourri la petite jubilation intérieure d’Ema. Pour la peine, elle attrapa le paquet de cartes et inspira un bon coup.

D’une main experte, elle posa les deux premières cartes sur le sol. Elles tombèrent. Ema inspira une nouvelle fois et recommença jusqu’à ce qu’elles tiennent. Elle posa les deuxièmes jusqu’à étendre une série de cinq paires, posées de manière à faire des genres de tentes indiennes. Elle rejeta sa tête en arrière, fixant le plafond, afin de respirer. Elle tendit les cartes à Shigeru.

« A ton tour, Shig’. Casse pas tout, hein. »

Plus facile à dire qu’à faire.