Qu'est-ce que c'est que ça ?

Il n’y avait qu’une question pour perturber Maru en ce moment. Elle aurait pu se demander ce qu’elle foutait sous l’océan. Elle aurait pu se demander comment elle avait fait pour se retrouver dans cette foutue flaque. Elle aurait pu se demander si c’était elle ou si elle respirait vraiment sous l’eau. Elle aurait pu se demander pourquoi tout brillait et pourquoi ces poissons l regardaient avec des yeux de merlans frits. Mais tout ce qu’elle pouvait se poser comme question tournait autour du seul détail minime qui faisait qu’elle laissait tout le reste à l’arrière plan.

Maru – Qu’est-ce que c’est que ça ?

Le ça en question ressemblait plus à une queue de poisson. Elle avait une queue de poisson bleu ciel à la place des jambes. Elle était au milieu de l’océan. Elle était perdue. Elle ne se souvenait pas du pourquoi ni du comment. A droite, il y avait du bleu. A gauche, il y avait du bleu. Au-dessus, tout était aussi bleu. Et en-dessous… C’était bleu. Et mouillé. De l’eau. Partout. Il y avait de l’eau, un château – enfin, ce qu’elle devinait être un château – et… Et des algues. Et des poissons. Et des coquillages.

Peut-être qu’en fermant les yeux et en comptant jusqu’à cinq, les crabes se mettront à diriger des orchestres et peut-être qu’elle verrait des carpes jouant de la harpe.

Dans cinq, quatre, trois, deux… Un.

i'm swimming in the... ... oh puis nan ça marche pas !

Tu te demandes ce que tu fous-là. Mais dans le genre… vraiment. Tu te demandes pourquoi, ô grand pourquoi dois-tu être… sous l’océan ? Ah tiens, ça te met une chanson dans la tête. Non ! ne chante pas ! … Bon, tu risques pas de mourir ; tu serais déjà mort si tu ne pouvais plus respirer sous l’eau, mais… non, ne chante pas. Parce que. T’as pas le droit, discute pas, c’est comme ça et puis c’est tout.
Donc voilà. Tu te demandes ce que tu fous-là. A quoi ça sert aussi. Aussi loin que remontent tes souvenirs… Euh. Tiens. T’en as plus. Tu te souviens pas de grand’chose. De t’être réveillé le matin. Et puis… Euh. Après, non, c’est trop flou. A part que… aaah ! merde ! quel jour on est ?

Un soupir contrarié t’échappe. Ouais. T’es mal barré, là. Très mal barré.

« … Je hais… ce truc. Quel qu’il soit. J’l’aime pas puis c’est tout. »

Que de précision, que de précision ! Puis tu nages. C’est là que tu te rends compte que… tu préfères marcher. Et t’as pas l’air très humain non plus. EH ! le contrôle météo sous la flotte, ça donnerait quoi ?
… Tu te poses de ces questions et…

Oh ! Quelqu’un ! vite ! allons voir.

Et le Kraken ?

Maru – D’accord. Je me calme.

L’eau salée n’avait-elle pas pour vertu de rendre fou quelqu’un ? Maru était persuadée d’avoir été atteinte. Elle tournait sur elle-même pas le simple mouvement de son buste. On aurait dit une handicapée qui essayait de tourner sur une chaise de bureau bougeante sans mettre pied à terre. Maru, elle aurait tout donné pour n’avoir, ne serait-ce, qu’un pied. C’était assez embêtant, cette nageoire. Elle avait à peine prêté attention aux coquillages de la couleur ciel de sa queue. C’était sexy, les coquillages. Ca faisait fantasmer les hommes, les sirènes. Encore faudrait-il qu’il y ait un homme à l’horizon.

Elle arrête ses mouvements circulaires. Parce que même si elle est toute seule, elle a vraiment l’air débile. Elle croise les bras sous sa poitrine. Son maquillage doit avoir coulé depuis longtemps. Un jour, elle investirait dans du waterproof. Elle se met à manger ses peaux mortes autour de ses doigts. Ce n’est pas tant l’océan qui la rend nerveuse. C’est cette queue.

Maru – On dirait un entonnoir, ce truc.

… Ce n’était pas des paroles de chanson, ça ? Elle s’en fout. De toute manière, personne n’est là pour le lui reprocher. Bien sûr, elle n’est pas censée savoir qu’il y a un jeune homme à quelques brasses d’elle.

Maru – Et puis, comment ça marche ce truc ?!

j'l'ai légèrement déconcentré

T’as l’impression de la connaître cette fille. Bon. Okay. Elle comme toi, vous avez des queues de poisson à la place des jambes. Elle comme toi, vous êtes coincés sous cette bulle d’eau de mer. Et elle comme toi, vous êtes capables de respirer sous l’eau. Donc. Tu nages ; ou en tout cas tu essaies de nager ; pour la rejoindre. C’est long. C’est énervant.
Mais au moins, tu n’es pas le seul à galérer. Tu peux te dire ça, quand même. C’est un triste lot de consolation, mais… oui, bon, bref. Tu finis par l’atteindre ; eh, faut bien une fin aux pires supplices, non ? Stop les divagations. Tu la regardes. Tu penches la tête de côté ; t’as l’air con. Donc jusqu’ici, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

« On est où là, en fait ? »

Et le tact, tu connais pas ? Bah non. C’est au-dessus de tes moyens, réfléchissons ! C’est bien connu ! Enfin bref. Tu n’attends pas forcément une réponse, alors tu te dis que tu vas enchaîner avec la question suivante. Tant qu’à faire, autant être préparés. Tu pointes la nageoire.

« Puis c’est quoi ce truc ? »

Et tu crois qu’elle va savoir en plus ?!
Bah bravo…

On déambule, on fait des bulles
Sous l'océan

C’est un jeune. Ca ne peut être qu’un jeune pour poser une question pareille. Il a une aura bleue. Ou alors, c’est un effet de l’océan, elle ne sait pas. C’est peut-être à cause de l’eau de mer. Elle s’en fout. Il est grand. Il est roux. Il est borgne. Et il a une queue verte. Il est grand. Même avec une queue de poisson, Maru arrive à être plus petite que les autres. Elle le regarde. Pour qui se prend-il ? Comme si elle savait où ils étaient. Elle l’a déjà vu quelque part. Oui, mais où ?

Maru – J’ai une tête à le savoir ?

Il a la même réaction qu’elle. Il ne sait pas pourquoi il a une queue de poisson. Maru non plus. Mais si on écoutait la logique de l’histoire, c’était pour nager. Oh mon dieu ! Maru vient de comprendre qu’elle peut parler sous l’eau. Elle se parle à elle-même depuis une dizaine de minutes mais elle n’avait pas tilté.

Maru – Visiblement parlant, c’est une queue. Nous sommes des sirènes, chéri.

Toutes les petites filles ont un jour rêvé d’être une sirène. De ressembler à Ariel. D’avoir un poisson pour ami. Maru, la natation, tout ça, ce n’était pas vraiment son truc. Maru, ce qu’elle aimait, c’était les sorcières.

Maru – Et ne me demande pas comment on a fait pour atterrir ici parce que j’en sais rien non plus.

là tu m'poses une colle

Je t’avais bien dit qu’elle en saurait rien non plus, crétin ! Mais non. Tu m’écoutes jamais, ça, c’est bien connu. Alors tu te prends la réponse en pleine figure comme il se doit. Oui, comme il se doit. Tu l’auras pas volée celle-là, on en est sûrs ! Non mais, attends. C’est la première que tu croises et tu crois vraiment qu’elle va pouvoir te donner une réponse qui satisfasse ta curiosité du moment ?
Avouons-le. Elle a les cheveux blancs. La peau mate. Les yeux bleus. … Et de la peinture sur la tronche. Attends. Ca tient la peinture à cette profondeur ? Woaaaah.

« Bah j’en sais rien, moi. Vous êtes la seule que je croise avec de la peinture sur la gueule… »

Euh. Minute. Reformule ta phrase peut-être.

« … La seule que je croise tout court en fait. »

… Crétin… ! T’as vraiment aucun tact, t’es pas possible !

Et elle sait pas non plus comment vous avez fait pour atterrir ici. Ca t’arrange.

« … Bah en fait j’me la posais pas encore cette question… »

… De mieux en mieux, vraiment.

En l'espace d'un seule jour et d'une seule nuit funestes, l'île Atlantide s'enfonça sous la mer et disparut.

De la peinture sur la gueule. Il vient de dire qu’elle avait encore de la peinture sur la gueule. Magnifique. Ravissant. Son maquillage ne s’est pas effacé ! Elle aime ça ! Si elle pouvait, elle ferait une petite danse. Genre, danse de la joie. Petit mouvement de bras, petit mouvement de bassin, petit mouvement de jambes. Ca foire quand on a plus de jambes. De toute manière, comme elle ne sait plus comment fonctionne son corps, elle se passe de danse.

Maru – J’ai vu personne non plus.

Faux ! Elle oublie qu’elle a vu des poissons. Qui dit poisson dit source de vie. Maintenant, de là à pouvoir dire avec assurance si c’était des bons ou des mauvais poissons… Il ne fallait pas pousser le bouchon trop loin.

Maru – Bah moi, je me la pose… Maintenant.

Elle essaie de faire un mouvement mais rien ne bouge. Elle râle, elle peste, elle marmonne dans sa barbe comme le ferait une grand-mère. Elle retente. Elle rate encore une fois. Ensuite, elle regarde le garçon. Elle ne connait pas son nom. Ce n’est pas grave. Les gestes avant, les présentations ensuite.

Maru – Hé.

Elle retente un geste. Pas de mouvement en dessous de la ceinture.

Maru – Ca marche comment ce truc.

tu sais, j'veux être enterré sous l'eau *paf*

Comment ça marche ? Euh. Comment lui dire que… t’en sais rien ? Mais alors, vraiment rien de rien. T’as essayé. Ca a pas marché la première fois. Un peu mieux la deuxième. Et puis finalement t’as réussi à nager, quoi. C’est instinctif, ou un truc du style ? En tout cas. Elle vient de te mettre une deuxième question existentielle dans la tête. Va lui expliquer qu’elle a juste à essayer de bouger, tiens… !

Tu penches la tête en la regardant. Elle a vraiment l’air de galérer ; oh que c’est bête. Tu penches la tête de l’autre côté ; belle preuve d’intelligence, vraiment. Et si t’essayais d’enlever ton cache, qu’on rigole ? Non, bon. Tu essaies de faire un mouvement.

Et le pire ? C’est que tu réussis. Tu t’éloignes un peu d’elle en nageant, puis te reviens. En fait, c’est pas si compliqué. Faut juste éviter d’aller trop vite, parce que si y a un truc que tu maîtrises pas encore : c’est ralentir. Bah non, eh, réfléchis. T’as pas encore pu tester les joies des pointes de vitesse et des freinages au dernier moment. D’ailleurs. Ce qui serait bien pour t’entraîner, c’est un mur. Non ? tant pis !

Tu refais quelques mouvements, tu tournes… Et tu reviens vers elle.

« … J’crois qu’il faut pas réfléchir en fait. »

Tout dans ton créneau, dis-moi !

Ca ne tourne pas rond
Je me sens maladroite

Ne pas réfléchir. Ne pas réfléchir. Maru se vide la tête après avoir écouter le jeune. Le secret, c’est de ne pas réfléchir. Elle le regarde. Il se pavane, il nage. Il sait nager. Et elle, elle ne sait pas. C’est peut-être ça, le problème. Le fait qu’elle ne sache pas nager. Elle aurait du apprendre, étant jeune. Sauf que sa mère n’avait pas le temps et pas l’argent. Alors, Maru n’avait jamais appris.

Elle se vide le crâne. Ferme les yeux. Fait un mouvement. Quand elle ouvre les yeux, elle pense avoir bougé. Mais rien. Que dalle. Nada. Elle recommence, les yeux fermés. Ca ne fait rien. Reste calme. Inspirer. Expirer.

Maru – BORDEL J’Y ARRIVE PAS !

Avec calme, tact et diplomatie. De toute manière, perdue au milieu de… De nulle part, ça ne posait pas grand problème.

Maru – Je n’y arriverai jamais. Et je vais rester là toute ma vie. Sous l’Océan. Au milieu de nulle part.

D’un geste théâtrale, Maru porte sa main dorée à son front et fait mine de s’évanouir. Elle souffle et une myriade de petites bulles.

Maru – Pfff. On va tous crever.

Elle prend vraiment très bien l’accent tragique de la fin du monde avec sa voix de petite vieille.

au pire, on risque pas d'en mourir

… On va tous crever ? Ah non ! ah non, non, non ! Tu tiens pas à clamser ! … Surtout pas en plein océan, soyons réalistes ! T’as toujours dit que… non, tu t’es toujours dit que tu voulais être incinéré. Et c’est pas sous l’eau que ça va se faire. enfin bref, ça mis à part, tu la regardes galérer avec sa queue de poisson. Bleue. Tu viens de tilt sur la question. Bah bravo. A croire que c’est assorti aux yeux des gens. Eh, t’as les yeux verts mon coco, pas de ma faute.

Tu t’approches d’elle parce que bon, elle a vraiment pas l’air de s’en sortir. Tu lui tends tes mains, en souriant un peu.

« Attends, j’vais t’aider. »

Tu passes du vouvoiement au tutoiement. C’est assez inhabituel. En plus, rien que sa tête te dit un truc. Mais t’as la flemme de réfléchir. Donc tu attends, en penchant la tête de côté. T’as l’air con, c’est rien de le dire. Tu vas tout bêtement l’aider à nager sur quelques mètres. L’aider à avancer. La pauvre. Elle a déjà pas mérité de se retrouver là une trentaine de mètres sous la flotte, mais si en plus elle peut pas bouger…

On a oublié son pyjama, Mme Placard ?
Je dors à poil.

Et maintenant, elle est là. Courbée, une main sur le front dans sa pose de muse de la Tragédie Grecque. Elle regarde, entre ses cils, les reflets que fait le soleil sur l’eau. C’est beau. Ca brille. Elle devrait rester couchée là, dans le vide, entre le sable du fond marin et l’oxygène de l’air. Rester là et ne pas bouger. De toute façon, elle ne peut pas bouger parce qu’elle ne sait pas nager.

Elle le voit s’avancer vers elle et lui tendre les mains. Il dit qu’il va l’aider. L’aider à nager ? Ca va être difficile ça, non ? Maru le regarde, un peu septique mais accepte finalement de placer ses mains dans les siennes. Maru. Adulte. Vingt-deux ans. Elle apprend à nager avec un jeune homme qu’elle devine aisément plus jeune qu’elle. Et elle s’en fout qu’il la tutoie. Maru tente de faire bouger son bassin. Avant. Arrière. On recommence. Comme sa mère le faisait. Elle semble bouger. Ou alors, c’est juste parce qu’il la tire.

Maru – Je bouge… ?

Elle éclate de rire. Une myriade de petites bulles sortent de sa bouche pour rejoindre la surface.

Maru – J’ai l’air stupide ! Ca doit pas être glamour à voir !

« Mais regarde ça ! Regarde cette grosse baleine ! »
« Mais atteeeend, pire que çaa ! »

Deux poissons, à peine plus gros que Polochon, mais lui ressemblant légerement, était à quelques mètres d'eux. C'était des filles, à en entendre leur voix. Wait, des poissons qui parlent? En effet. Et elles riant même. Elle riaient de Maru, essayant de nager. C'était comme voir une adulte essayer de marcher, mais sous l'eau.

« Elle a trop bu l'eau salé ?! »
« Elle se sent plus nager ? »
« Ahah ! »

Moqueuses, de vraies pestes marines. De toute façon, tout deux n'étaient pas assez entrainés pour poursuivre ces deux poissons femelles. Alors, que faire? Répliquer ? ..

ils n'ont pas l'droit d'me faire un coup pareil !

Tu l’aides, donc.
Elle a mis ses mains dans les tiennes. C’est un début. Tu tires un peu dessus, de manière à fléchir tes coudes, et tu nages. Quelques mètres, rien de bien étonnant. Mais elle, ç’a l’air de l’enchanter de pouvoir bouger. Eh oui ! elle bouge ! Elle est même morte de rire. Plein de petites bulles d’air s’échappent de sa bouche quand elle se met à rire. Côté glamour… ouais bon. On s’en fout un peu, pas vrai ? C’est pas le plus important. Non, le plus important, c’est qu’elle bouge.

« Au pire, c’est pas non plus comme si on devait danser devant une foule entière. »

Pour une fois, t’as pas tort. Jusqu’à ce qu’un truc parvienne à tes tympans. C’est désagréable. Deux petites voix aiguës qui ont tout simplement l’air de se foutre de… merde, tu te souviens plus de son nom. Si tu l’as su un jour. Donc on va dire, de la sirène que tu tiens par les mains.
Tu tournes la tête en direction de ces voix.

… Des poissons ? Ce sont des poissons qui parlent ? Mais putain, ça parle ces trucs-là ?! Tu arques un sourcil avec un air franchement idiot. T’as même arrêté de bouger. Puis tu te rends compte de la situation et tu fixes juste les deux futurs pannés ; si tant est qu’ils soient mangeables ; qui ont l’air de bien rire.

Si tu pouvais les choper, tu le ferais.

Si Monsieur Poisson n'est pas sage
Il finira dans la poêle

Pour le côté glamour de la chose, on repassera. En attendant, c’est assez compliqué de se concentrer sur sa façon de nager quand on rigole. Une minute. Elle, elle ne rigole plus puisqu’elle a repris sa nage. Et non, on ne va pas danser devant tout le monde. Dans les couloirs, c’est limite pas gracieux. Alors avec des nageoires… Mais une chose est sûre : ce n’est pas elle qui rigole.

Elle détourne à peine la tête qu’elle voit deux poissons jaunes, ronds comme des ballons. Ah. Ahah. Qui c’est qu’elles traitent de baleine ? D’après l’avis de Maru, les miroirs ne doivent pas exister sous l’océan, sinon, si elles découvraient leurs tailles, elles seraient choquées. Mais merde quoi ! Maru, elle a un corps de déesse ! La nouvelle figure de l’Atlantide, c’est elle !

Elle lâche les mains du garçon – elle devrait lui demander son nom, parce qu’à un moment ou à un autre, elle va être à court de surnoms. Elle met en pratique sa nouvelle maîtrise – assez gauche, disons-le – de la natation et avance – lentement mais sûrement – vers les deux baudruches aquatiques avec l’envie de les éclater. Ahah. Baudruche, éclater. Là n’est pas le problème. Elle pose les mains sur ses hanches. Et un sourire mauvais se dessine sur ses lèvres d’adulte mature et responsable qui ne réplique pas aux moqueries des enfants, poissons comme humains.

Maru – Vous savez ce qu’on leur fait aux petits poissons comme vous dans mon pays ?

Elle pensait sushi. Mais elles ne devaient pas connaître. Et maintenant, avec son sourire, ses yeux, son visage le plus psychopathe…

Maru – … On les mange !

D’un mouvement souple du bassin – comme sa maman le lui a appris – elle fait un tour sur elle-même en chantant une horrible chanson macabre. Glamour, purement féminin.

Maru – Les poissons, les poissons, moi j'adore les poissons, les couper, les tronçonner à vif. J'aime leur trancher la tête et dépiauter la bête. Ah mais oui, c'est toujours un délice !

hurle, hurle tant que tu peux
personne n'est là pour t'entendre

Elle t’a donc lâché les mains. Normal, quoi. Après tout, les poissons l’avaient traitée de baleine. Baleine, elle ? Euh. Comment dire ? Non, pas vraiment. Pas du tout, même. Et puis, un poisson c’est rond ; et ça rime. Et c’est con, aussi, apparemment. Tu regardes donc la sirène bleue aller vers ces espèces de ballons. Tu te demandes ce que ça fait, un poisson gonflé à l’hélium… Surtout s’il parle. Aura-t-il une voix encore plus horripilante qu’elle ne pourrait l’être déjà ? Ah, la bonne question. Tu te demandes parfois si tu n’aurais pas un lien quelconque de parenté avec un tueur en série. Jack l’éventreur ? Non. H.H Holmes ? Non plus. Même si t’es au moins aussi inventif que ce taré. Ted Bundy ? Faudra que t’apprennes à t’évader un certain nombre de fois. Le tueur de la Green River ? … Eh, t’es sous l’eau.

Et l’eau, ben, ça efface les preuves.

Tu repenses à tous tes livres de psychopathes. L’Aliéniste et l’Ange des Ténèbres sont en tête de liste ! Comme c’est étonnant. Que dirait Laszlo Kreizler dans une situation pareille ? Réfléchissons, réfléchissons… Il est au moins aussi dérangé que les tueurs qu’il cherche. Seulement, il s’en sert à dessein noble ; disons ça comme ça. Oh ! allez ! Quitte à passer pour un fou.

Tu te rapproches des poissons ; et de la sirène. Tu penches la tête, clignes des yeux. T’as l’air, au mieux con, au pire, totalement allumé.

« Moi je dis que même à la poêle avec un peu de citron ça sera pas mal. »

Sur le coup, tu ne te dis pas qu’une poêle sous l’océan… c’est un peu dur-dur. Tu regardes ta complice ; de futur meurtre, qui sait ; avec un sourire léger, allègre. Bref, de psychopathe.

« Tu crois qu’ils hurleront quand on les posera sur la poêle brûlante ? »

Tu deviens flippant, vraiment.

« De quoi ils parlent ces deux là ? »

Bouffer les poissons, poêle, tout ça; ces deux poissones n'y connaissait apparemment rien.

« Surement le langage morse. »
« POUHAHA T'ES BEEEETE ! »

Et elles se remirent à rire. La vue des deux sirènes s'approchant ne les empêchaient guère de continuer à discuter. De toute façon, elles étaient bien plus rapide, et pouvait aisément se cacher sous des roches. Surtout que ces deux là paraissaient un peu bêtes et perdus.

« Atten-ten-tend ! Je crois qu'ils essayent de communiquer ! »

Et l'une des poissone s'avança en immiter une nage lourde et maladroite, celle de Maru en l'occurrence.

« Et je chaaaante ♫ comme les jolis petits phoques de la mer sale ! »

L'autre se mit à rire, imitant alors Lilian en train d'avancer énervé, et dit :

« Owwwiiii. Allez, on va les maaaanger ! On est trop des méchaaants ! On va se venger ! »

Et les voilà qui riaient encore plus fort.

J'leur crève les yeux et j'les ouvre en deux

Elle l’aime bien ce petit là. Il devient vraiment flippant, mais elle l’aime bien. Elle trouve ça marrant sa référence au citron et à la poêle. Mais s’il faut les manger, il se débrouille tout seul. Foi de Maru, elle ne mangera plus un poisson de sa vie. Les arêtes, c’est la chose la pluie inutile du monde. C’est bizarre sa manière de lui demander si les poissons vont crier ou pas.

Maru – J’en sais rien. On devrait essayer.

Mais sans citron. Et sans poêle. Autrement dit, sans le nécessaire à poiscaille. Ca ne sert à rien ça, Maru. Elle ne sait pas quoi faire pour faire taire ces chipies. Ca l’énerve. Avec ses jambes, elle les aurait démontées. Mais avec une nageoire, ça devenait un peu plus compliqué. Il devait bien y avoir un bouton, quelque part, sur cette maudite queue, genre frein à main, sur lequel elle devait appuyer pour déverrouiller cette foutue queue !

Maru – Si tu arrives à en attraper une, je… Te paie un verre.

Elle repose ses yeux sur les deux baudruches. Et sans comprendre qu’elles ne comprennent peut-être pas sa langue, elle ouvre la bouche.

Maru – Hé. On est où, ici ?

maintenant, maintenant !
oh, oui, c'est maintenant qu'on va rire

A part que t’as l’air d’un psychopathe, tout va bien. Hein, Lilian ? Mais elle te promet de te payer un verre si tu en chopes un. … Mais tu rêves d’en choper un, justement ! Tu n’attends que ça. Ouais bon. Ils viendront pas vers toi, ces deux poissons. Et ils ont l’air de bien rigoler. Ça te donne vraiment des envies de meurtre. Envers des animaux, on note. Mais des animaux qui parlent ! Et qui, en plus de savoir parler, se foutent d toi. Et tu détestes qu’on se foute de toi. Parce que t’as largement eu ta dose avant d’arriver à Aomori. Ou même, avant d’atterrir ici.

Il paraît que la peur donne des ailes ; perso, t’as jamais vraiment essayé. Mais l’énervement et la colère… dans ton cas, ça te fait nager. Et bien, en plus. Puis vite, aussi. Et l’avantage de faire un mètre quatre-vingts environ, c’est que t’as juste à tendre le bras pour refermer ta main sur un des poissons. Ton sourire s’agrandit. T’as définitivement l’air d’un psychopathe. Tu regardes la pauvre créature entre tes doigts.

« Je te tiens, saloperie ! »

C’est vrai qu’elle a moins l’air de rigoler, la bestiole. Et toi, tu ricanes tranquillement.

« Nous au moins, y a un truc qu’on peut faire, c’est vous accrocher à un hameçon, vous coller sur une planche, vous découper à coups de tranchoir et vous abandonner dans une casserole. »

… Et tu te demandes ce que ça fait si tu les perces avec une aiguille. Si ce sont des baudruches, elles s’en iront en « volant » ?

Où on est ? Le poisson ayant imité Maru n'en croyait pas ses yeux, mais bon sang c'est quoi ces sirènes ? Elles perdent encore la mémoire que les poissons rouges qu'on trouve au sud de l’Atlantide ! Enfin, l'heure n'était pas aux explications, le rouquin attrapa sa compagnonne et commença à lui parler d'un truc incompréhensible. Bah oui, le monde extérieur ne leur dit rien du tout.

« Hé ! Lâche moi espèce de poulpe ! »

Le poisson essayait tant bien que mal de se défaire de la main du jeune homme, mais rien n'y faisait, il serrait fort. Perdant le sourire, l'autre qui était libre se mit vite à s'enfuir au loin. La peur au ventre.
Et revint une minute plus tard avec un immense requin, bleu très foncé, grandes dents bien pointus. Il avait de nombreuses cicatrices, et la nageoire droite cassé. autant dire que là, ça rigolerait moins.

« WESH ! T'lâche ma bestah sinon j'te défonce ta race de rensih(sirène) ! OKAY ? »

Les poissons sont nos amis on y touche plus !

Soit il aime l’alcool, soit il a vraiment envie de la revoir, soit il en veut vraiment à ses poissons. Il n’empêche que maintenant, elle lui doit un verre. Il se met à divaguer sur la mort du poisson qu’il a réussi à attraper. Elle est fière de lui. Pas pour la divagation – ça tourne au gore, d’ailleurs – mais pour l’attrapage.

Maru – Je te dois un verre, dude.

Ah. Ahah. L’autre pute de baudruche venait de revenir. Avec un requin. Un grand requin. Un énorme requin. Couvert de cicatrices, les dents très pointues et une nageoire en moins. Et en prime, il parlait comme une racaille de pacotille. Bestah. C’était un kikoolol en plus. Maru, sang froid, s’approche de lui. Sans peur.

Maru – Hé, bâtard ! T’parles pas comme ça à mon tepo ou j’te nique ta race qu’tu vas rien comprendre à ta life !

On commence en douceur. Magnifique interprétation. Dans le quartier où Maru habitait avec sa mère, avant, ils parlaient tous ainsi, les mecs. C’était fun.

Maru – Zyva ! Comment qu’t’es pas un mec ! T’protèges des tepu ! Elles t’paient en nature au moins ?!

Elle rigole. C’est con, quand même. Elle s’approche un peu plus de lui et commence à lui parler sur le ton de la confidence.

Maru – Ecoute, darling. J’veux pas être vache avec toi, mais ça fait un peu tapette de protéger des poissons comme elle. Attends, attends ! Comment tu veux que les autres te prennent au sérieux et aient peur de toi s’ils te voient avec elle ? Non, non. Ecoute, je suis nouvelle dans le coin – j’sais même pas où on est en fait – et je peux te dire que tu m’fais pas peur.

Elle passe un bras autour du requin, comme pour le prendre par les épaules.

Maru – Darling. A force de rester avec des poissons, les autres, ils vont finir par croire que t’es végétarien.

Maru est végétarienne.

Maru – Sois un mec ! Montre-leur qui est le maître !

question comme ça :
c'est normal c't'histoire ?

… Un requin ? C’est… c’est vraiment un requin ? Tu arques un sourcil, sans lâcher miss poisson pour autant. Eh ouais, t’as toujours autant envie de la faire devenir un sushi ; même si tu doutes qu’elle soit comestible. Attends. Ce requin parle ? … Non, sérieusement. Il te donne envie de te marrer. Déjà, quand ce sont des êtres humains qui parlent comme ça, tu peux pas t’empêcher de rire. Mais là… un requin ! Bon sang. Même le commandant Cousteau ne survivrait pas à un truc pareil…

Tu reportes ton attention sur le poisson, lui colle une pichenette. Puis une autre. Et encore une autre. … Le sadisme envers les animaux est un des signes avant-coureurs de la psychopathie, Lilian. … Sauf que bon. Ca peut se comprendre, vu comment ces petites pestes vous énervaient… ta complice et toi. Disons ça comme ça.

… Pourquoi tu as le thème musical d’Angry Birds dans la tête, au fait ?

Tu regardes ton homologue sirène s’adresser au requin. Bordel de merde. Elle a vraiment l’accent ! Soit elle a vécu dans ce milieu un bon moment… soit elle a vécu dans le milieu un bon moment. Un requin végétarien. Oh, nan. Ca existe ça maintenant ? La chaîne alimentaire se dépérit. Tu ne peux pas retenir un sourire.

Et hop ! pichenette le poisson !

« … Et en plus j’ai faim. »

Ah, c’est tout toi, ça. Mais non. Ce poisson ne te semble pas comestible du tout ; va falloir trouver autre chose, dommage pour toi. Puis tu regardes le requin.

« Puis, franchement. Si elles crèvent, ce sera pas une grande perte. »

… Sans blague ?

More than friends

Il va finir par se demander où Maru a grandi. Pas le requin. Le requin, on s’en fout, il a l’air con. Elle pensait au garçon, celui à qui elle doit un verre. Un verre de quoi, déjà ? Bah, qu’importe. Que ce soit d’alcool ou un bête jus de fruit, elle sera contente de le lui payer. Mais il va quand même se demander où elle a appris à parler comme ça. S’il demande, elle le lui racontera. Qu’elle a vécu dans la racaille, dans un coin du Japon où ceux qui ne réussissaient pas à l’école, où ceux qui avaient à peine le fric pour une maison, étaient oubliés. Ce n’est pas comme si c’était un secret de famille. Elle s’en foutait des gens qui la traitaient de fille de pute. Ce n’était pas faux. Elle faisait partie des bâtards Japonais. Il faut de tout pour faire un monde. Le bras autour du requin, comme s’ils étaient potes, Maru regarde le garçon.

Maru – Va falloir attendre, mon lapin. Niveau flore aquatique, j’connais pas les plantes comestibles.

Elle baille. C’est vrai que si elle avait un peu à manger – une algue, qu’importe – elle ne serait pas contre. Du moment que ce n’est pas un poisson ou une crevette ou de la viande. Maru, elle bouffe que des racines et des plantes.

Maru – Mais non, chéri ! Il faut être gentil avec nos nouveaux amis !

Gentil, d’accord. Mais ce sont elles qui ont commencé.

Maru – Tiens, lâche-la.

Un grand sourire passe sur les lèvres de Maru.

Maru – On est amis, pas vrai ?

... eh gna gna gna ewe

Et toi non plus, tu n’y connais rien niveau faune et flore aquatique. Enfin. Si. Tu connais l’écosystème dans les grandes lignes, tout ça, tout ça. Mais de là savoir ce qui est comestible et ce qui ne l’est pas… D’autant que, sushis exceptés, le poisson, tu as l’habitude de le manger cuit. N’oublions pas que faire un feu sous l’eau c’est… assez dur, hein. Voire impossible, tout de même.
Et tu finis aussi par lâcher le poisson. Mais tu ne retiens pas un regard noir envers la bestiole, et sa comparse. Le genre qui dit : « tu sors encore un mot, et je te découpe en lamelles tellement fines qu’on verra à travers ». Et le requin alors ?

Bah… Un peu oublié, le squale. Il a l’air de réfléchir. Ah bah si. Vu l’univers on peut dire qu’il réfléchit le requin.

… Amis ? Hein ? Que… comment ça ? Depuis quand ?

« … Faudrait p’têtre pas aller jusque-là, si ? »

Ça te sidère un peu, avouons. Tu es de nature assez rancunière, mais bon. Enfin. Tu as dû te découvrir une haine particulière des poissons depuis que tu es capable de les comprendre. Tu risques d’apprécier encore plus de les voir dans ton assiette.

Oh non, ne deviens pas psychopathe, t’es prévenu.

En attendant, t’as bien lâché les poissons et tu fais plus ou moins la tête dans ton coin. Oh mais que de maturité ! … Ouais. T’es un cas.

On part à la pêche à la méduse

Il l'a écouté. Bon sang, ce que ça fait du bien d'être écoutée ! Ca procure un sentiment de... D'autorité que Maru ne peut pas avoir en étant femme de ménage. Elle aurait pu être intimidante si elle avait fait quelque centimètres de plus. Qu'est-ce que ça ferait du bien, d'être grande ! A la rigueur, le seul inconvénient qu'elle pourrait trouver, là, tout de suite, c'est que porte des talons, elle pourrait moins faire. Bah ! Tant pis !

Le roux, il n'a pas l'air d'accord avec elle quand elle dit qu'ils sont amis. D'ailleurs, il le dit haut et fort. Ah lala. Il n'a rien compris à la logique des événements ce grand dadet. Elle tapote le côté du requin et sourit comme une adolescente.

Maru - Aaah... Décidément, les jeunes de nos jours...

Il n'y a qu'elle qui comprend ce qu'elle entend par-là, évidemment. Bah ! Pas grave ! De toute manière, elle dénoue son bras du requin et recule en arrière, galérant encore un peu mais moins qu'avant.

Maru - Finalement ça va tout seul.

Elle fait quelques brasses, pas beaucoup. Juste pour s'habituer.

Maru - Mais je vous avouerai que mes talons aiguille me manquent quand même.

Ils vont pas comprendre, elle s'en fout. De toute manière, elle trouve que la conversation a assez duré. Il doit y avoir tellement de choses à voir dans un océan ! Elle n'a pas le temps de prendre le thé avec un requin et deux baudruches. Elle se recoiffe, ce qui, en soi, est assez compliqué sous l'eau.

Maru - Mes chers amis, nous allons nous laisser !